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néïde a introduit Vénus et Mercure dans un sujet inspiré par des sentimens que le christianisme seul a rendus possibles ; dernier exemple peut-être de cette alliance des deux religions, dont Ausone vient de nous offrir le premier.

J’ai cherché jusqu’ici Ausone dans ses œuvres ; il me reste à parler de quelques compositions du même auteur qui peignent moins l’homme que le temps, moins l’individu que la civilisation et la littérature de ce temps.

Le caractère prosaïque d’un grand nombre des poésies d’Ausone, en leur enlevant tout intérêt d’art, leur donne un grand intérêt d’érudition. Elles sont d’autant plus instructives qu’elles sont plus dénuées de charmes ; du moins la sécheresse de la poésie n’ôte rien à la précision de l’histoire.

Ainsi l’Ordre des villes célèbres[1], qui n’est guère autre chose qu’une nomenclature versifiée, fournit de précieux renseignemens sur la situation de la Gaule au ive siècle.

La place que ses principales villes occupent dans cette énumération des plus illustres cités de l’empire, est, à elle seule, un fait important et significatif. Immédiatement après les grandes capitales, Rome, Constantinople, Carthage, Alexandrie, Antioche, sont placées plusieurs villes gallo-romaines ; Trèves est la sixième du catalogue, Arles la dixième, tandis qu’Athènes n’est que la douzième, et vient après Mérida ; suivent Toulouse, Narbonne et Bordeaux.

Ce qu’Ausone nous apprend de l’état florissant de ces villes s’accorde avec tous les documens contemporains. Quand il parle de Trèves, qui donne aux légions des vêtemens et des armes, il dit vrai ; car il y avait à Trèves une manufacture d’armes, et devançant le rôle commercial que devaient jouer un jour les villes libres des Pays-Bas, Trèves était l’entrepôt des laines d’Angleterre.

Ausone nomme Arles la petite Rome des Gaules et célèbre son marché opulent qui recevait le commerce du monde ; on voit qu’Arles à cette époque était double. La portion de la ville située sur la rive droite du Rhône n’existe plus. Le commerce d’Arles s’est déplacé au moyen-âge, il a remonté jusqu’à Beaucaire, comme Marseille a reconquis celui dont Narbonne l’avait dépossédée.

Le plus curieux témoignage à l’appui de ce que dit Ausone du commerce arlésien, se tire d’un rescrit d’Honorius adressé au préfet d’Arles, pour y convoquer l’espèce d’assemblée représentative qu’y

  1. Ordo nobilium urbium.