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AUSONE ET SAINT PAULIN.

sociaux ; il y a encore des pères, des époux, des fils, quand il n’y a plus de citoyens. À cette classe de poésies domestiques d’Ausone appartiennent ses Parentalia, hommage funèbre adressé par lui à toutes les personnes de sa famille. Ausone a dû au sentiment filial quelques inspirations touchantes. Dans l’épître qu’il adresse à son père à l’occasion de la naissance de son fils, il lui dit : « Cette naissance nous rend pères tous deux ; ce nouveau titre qui m’est donné, accroîtra encore mon tendre respect pour vous. En vous aimant, j’apprendrai à mon fils à aimer son père. » Il parle avec beaucoup de grace de la jeunesse paternelle. « Nous sommes presque du même âge… je puis être pour vous comme un frère. J’ai vu des frères aussi distans que nous par les années. Chez vous, la belle jeunesse rejoint de telle sorte la vieillesse, que la première saison de votre vie semble se prolonger quand l’autre a déjà commencé. On dirait que ces deux âges sont convenus de ne pas trop se hâter, l’un de s’écouler doucement, l’autre de s’avancer avec lenteur, apportant le fruit mûr quand la fleur est fraîche encore. »

Ausone fut aussi bon père qu’il était bon fils. Les vers dans lesquels il peint sa douleur au départ de son fils, qui l’avait quitté pour aller à Rome, ces vers sont touchans, parce qu’ils sont émus. Des entrailles paternelles est sorti le cri maternel de Mme de Sévigné : « Ah ! ma fille, quelle journée ! » Quis fuit ille dies ! Ausone se peint errant sur les bords de la Moselle, dont les flots viennent d’emporter son fils, tantôt abattant les jeunes pousses des saules dans la distraction de la douleur, tantôt détruisant des lits de gazon, tantôt s’avançant d’un pas chancelant sur les pierres glissantes… Ces détails expriment le trouble d’une affliction sentie. Un mouvement parti de l’ame a, pour un moment, dérangé les plis empesés de la robe du rhéteur.

À la cour des empereurs, Ausone conservait un goût véritable pour les douceurs de la retraite et la liberté de l’étude ; c’est encore un sentiment honorable et sincère qu’il exprime parfois avec charme : il décrit avec vivacité la joie qu’il éprouva quand il fut rendu à sa petite maison de campagne, voisine de la ville de Saintes[1], évènement qu’il se hâta de célébrer en vers imités de Lucilius. Une douzaine d’années s’écoulèrent encore entre ce moment et la mort d’Ausone. Ce fut pendant ce temps qu’il envoya de nombreuses épîtres en prose à divers rhéteurs et poètes de ses amis, à un

  1. Santonicamque urbem vicino accessimus agro. (Ep. viii ad Paulum.)