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AUSONE ET SAINT PAULIN.

C’est dans le fait une courte lettre écrite par Gratien, en style assez gracieux pour du style de chancellerie. Mais c’est tout autre chose aux yeux d’Ausone ; il y découvre des beautés que personne n’y aurait soupçonnées. « Je t’ai désigné, déclaré et nommé premier consul. » « Peut-on s’exprimer avec plus d’ordre, en termes plus propres et plus choisis ! » s’écrie Ausone. Puis il reprend chaque phrase de sa nomination et en admire jusqu’aux moindres syllabes, s’écriant : « Ô la docte expression ! Quoi de plus familier ! quoi de plus fier ! quoi de plus doux ! » Il y a là une bonhomie de platitude qui désarme, et l’auteur échappe au mépris par le ridicule ; le moyen n’est pas sûr, il ne faudrait pas s’y fier.

Le panégyrique de Gratien par Ausone me conduit à dire en passant un mot de celui de Théodose par Pacatus ; sa date le place naturellement ici, car il fut prononcé en 391. Pacatus fut contemporain d’Ausone, qui vivait encore sous Théodose. Nous avons une aimable lettre de ce prince au vieux rhéteur, qu’il appelle son père, et auquel il demande avec grace une lecture de ses anciens et de ses nouveaux ouvrages.

Pacatus se distingue un peu des autres panégyristes ; ce n’est pas qu’il ne tombe dans les mêmes égaremens de bassesse, mais du moins il montre çà et là une certaine fougue, un certain emportement déclamatoire qui ne manque pas entièrement d’effet. Pacatus affecte de rappeler qu’il est un Gaulois parlant devant des Romains, qu’il vient des extrémités les plus lointaines de la Gaule ; il apporte, dans le sénat où l’éloquence est héréditaire, la rudesse inculte et l’âpreté du langage transalpin[1]. Il ne faudrait pourtant pas être dupe de ces faux airs de paysan du Danube. Le sayon de poil de chèvre cache mal la toge du rhéteur, c’est encore un raffinement et une coquetterie de langage pour relever la banalité de la louange par un air de sauvagerie affectée.

Je l’ai dit, Pacatus a plus d’éclat et de vivacité que la plupart des autres panégyristes. Dans son récit de la déroute et de la mort de Maxime, je rencontre quelques traits assez énergiques, bien que le même fond de déclamation s’y fasse toujours sentir[2]. « Que de fois il a dû s’écrier : Où fuir ? Tenterai-je de combattre, de soutenir, avec une partie de mes forces, un choc que toutes mes forces n’ont pu repousser ? chercherai-je à fermer les Alpes Cottiennes ? Que m’ont

  1. Rudem hunc et incultum transalpini sermonis horrorem.
  2. Chap. xxxviii.