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remerciaient le peuple ; quand il n’y eut plus de peuple et que le prince eut absorbé tous les droits avec tous les pouvoirs, il hérita aussi de ces actions de grace, et les louanges du souverain en furent le sujet obligé. Ausone ne fut point tenté de se soustraire à cette obligation. Gratien, qui tenait à honneur de montrer à son ancien maître qu’il avait assez profité de ses leçons pour tourner un compliment, lui avait dit qu’il avait payé ce qu’il devait, et qu’après avoir payé, il devait encore. Ausone se récrie sur la beauté de cette parole, et défie Ménélas, Ulysse, Hector, de dire mieux. On conçoit qu’un tel empereur a tous les mérites que les panégyristes accumulaient sur les objets de leur flatterie ; il a en outre un mérite plus grand que tous les autres, Ausone le dit textuellement, c’est celui d’avoir fait son précepteur consul[1]. Le souvenir des anciens consuls pourrait, ce semble, inspirer au pédagogue de Gratien quelque modestie et quelque embarras ; il n’en est rien. S’il se compare à eux, c’est pour s’applaudir de sa supériorité. C’est un singulier mouvement de fierté, il faut en convenir, que celui d’Ausone triomphant de ne s’être pas abaissé, comme les consuls de la république, à solliciter le peuple. Sa vanité trouve la faveur impériale bien plus glorieuse que le suffrage populaire. Il n’a pas subi les formalités des élections du Champ-de-Mars, il n’a pas sollicité les tribus et flatté les centuries. « J’ai été, dit-il en relevant la tête, j’ai été consul, auguste empereur, par ton bienfait… Peuple romain, Champ-de-Mars, ordre équestre, rostres, sénat, curie, le seul Gratien est tout cela pour moi. » Plus loin cependant, il daigne se comparer aux anciens consuls, sauf une seule différence, les vertus guerrières qui existaient alors, restriction jetée négligemment entre deux parenthèses : quæ tum erant. Peut-on imaginer un aveu plus décisif de la décadence romaine, que celui qu’Ausone fait sans s’en apercevoir par ces trois mots quæ tùm erant ?

Marchant sur les traces des autres panégyristes, Ausone hésite, à leur exemple, entre l’ingratitude dont on l’accusera, s’il se tait sur l’empereur, et l’extrême témérité dont il se rendra coupable, s’il ose le louer ; et comme ses devanciers, il se décide pour la témérité, se résignant aux suites de son audace. Mais nulle part le besoin d’admirer tout dans un prince à qui l’on doit tout, ne se fait sentir aussi naïvement que dans le commentaire dont Ausone, dans son enthousiasme, accompagne le texte de sa nomination.

  1. Hujus verò laudis locupletissimum testimonium est… ad consulatum preceptor evectus.