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AUSONE ET SAINT PAULIN.

mus, le papier est la blanche fille du Nil, le roseau pour écrire est exprimé par les nœuds cnidiens. La recherche de ce langage employé pour désigner les objets les plus usuels et les plus familiers, ce faux esprit, ces puérilités, marquent la seconde enfance qui attend les littératures vieillies. La Chine, qui est d’un secours merveilleux pour comprendre une société et une décadence du même âge, la Chine nous fournit un pendant curieux de ce qu’on vient de lire. Il existe entre les lettrés, surtout quand ils écrivent en vers, une langue convenue comme celle des précieuses, et dans laquelle rien ne s’appelle par son nom. Les périphrases consacrées à indiquer les objets qu’on emploie pour écrire, offrent avec les périphrases d’Ausone, une singulière analogie.

Voici des vers des Deux Cousines.

« Le pinceau rempli d’encre est un nuage noir chargé de pluie ; la main agile semble poursuivre les traits qu’elle vient de former ; bientôt des rejetons fleuris s’élèvent sept à sept (les rimes), le papier rayé semble le fil d’un collier de perles. »

En général, rien ne ressemble plus aux rhéteurs comme Ausone que les lettrés chinois. Ces rhéteurs étaient de véritables mandarins, se délectant, comme ceux-ci, de futilités littéraires ; de même aussi ces futilités étaient pour eux le chemin des emplois et des honneurs. Ainsi, à la suite de ses petits vers, Ausone fut revêtu, par son élève Gratien devenu empereur, de plusieurs dignités ; il fut fait comte et questeur, il fut successivement préfet du prétoire d’Italie et préfet du prétoire des Gaules. Ces deux préfectures, qui comprenaient en outre, l’une l’Afrique et l’Illyrie, l’autre la Bretagne et l’Espagne, embrassaient tout l’Occident. Ausone se trouva donc, dans l’espace de quelques années, avoir gouverné de nom, la moitié de l’empire. Ce fait montre où cette littérature si frivole faisait arriver ceux qui la cultivaient.

Enfin Ausone atteignit le terme le plus élevé que son ambition se pouvait proposer. Il fut consul. Déjà Quintilien et Fronton avaient porté ce titre. Il a eu soin de mettre en vers la date de cet évènement dont il était si fier. C’est en l’année 1118 de Rome qu’il fut élevé au consulat, qui était alors une distinction de cour sans valeur politique, mais fort désirée. Nous avons le discours qu’à cette occasion il prononça pour rendre grace à son ancien disciple l’empereur Gratien. On l’imprime ordinairement avec les panégyriques, et en effet ces témoignages officiels de reconnaissance étaient de véritables panégyriques. Dans l’ancienne Rome, les consuls nouvellement élus