rance, racontent la pauvreté avilie. Certes un pareil spectacle, comparé au souvenir touchant de Bianca, a de quoi émouvoir les ames les plus indifférentes. Si usées que soient les passions par les mécomptes et par les années, il reste aux plus endurcis la faculté de s’apitoyer sur l’amour profané. M. Barbier a trouvé, pour l’abaissement de Venise, des paroles pleines de tristesse et d’éloquence. Amené, par une pente invincible, de la profanation de l’amour à la profanation de l’art, il a noblement exprimé une pensée qui sommeille au fond de bien des ames, et qui se révélerait par une plainte unanime, si toutes les lèvres savaient parler ; il a montré comment le mépris de la passion sincère, de la passion pure et désintéressée, mène fatalement au mépris de la pensée elle-même, et de toutes les œuvres de la pensée, comment le plaisir, prenant la place de l’amour, diminue les sympathies de la multitude pour la poésie, la peinture, la statuaire, et comment, à son tour, le mépris de l’art encourage la multitude aux jouissances brutales. Le caractère de Bianca se rapproche de l’élégie plus décidément que les trois premières parties du Pianto. Cette différence s’explique sans peine ; l’art catholique du Campo Santo, les lignes harmonieuses de la campagne romaine, l’ardeur et l’éclat du ciel napolitain, n’étaient pas faits pour inspirer les mêmes pensées que Venise vendant ses filles et le chant de ses gondoliers à la satiété opulente de l’étranger. M. Barbier, en assombrissant les couleurs de sa poésie, a obéi à la nature du modèle qui posait devant lui ; il a été logique dans sa diversité.
L’auteur a séparé les trois premiers chants du Pianto par des sonnets sur Michel-Ange, Raphaël, Masaccio, Corrége, Titien, Dominiquin, Léonard de Vinci, Allegri et Cimarosa. Plusieurs de ces sonnets sont des chefs-d’œuvre de grace ou d’énergie ; je citerai particulièrement les sonnets sur Raphaël et Corrége, Michel-Ange et Dominiquin. En général, il manie cette forme si rebelle avec une grande liberté ; pourtant il lui est arrivé plusieurs fois, je ne sais pourquoi, de ne pas croiser les rimes du premier ou du second quatrain. Cette irrégularité serait sans importance dans une pièce de longue haleine ; mais dans une pièce d’aussi courte durée, je crois sage de l’éviter. Les noms que M. Barbier a choisis indiquent assez qu’il a voulu personnifier dans ces sonnets les différentes faces, les différentes époques de l’art italien. Je regrette qu’il n’ait pas jugé à propos d’encadrer ce qu’il avait à dire de ces artistes éminens dans les divers chants de son poème ; nous aurions perdu les sonnets que nous aimons, mais l’unité du poème eût été plus complète. D’ailleurs,