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REVUE DES DEUX MONDES.

— Si bien que je veux vous donner un repas de fiançailles au premier jour, répondit le Tintoret en souriant.

L’histoire ne dit point si ce repas eut lieu, ni si Valerio Zuccato épousa Maria Robusti. Il est à croire qu’ils restèrent intimement liés et que les deux familles n’en firent jamais qu’une. Francesco voulut en vain abdiquer son autorité en vertu des droits de son frère ; il fut forcé par la persévérance de celui-ci de reprendre son rôle de premier maître, de sorte que le titre de Valerio demeura purement honorifique. L’école des Zuccati redevint florissante et joyeuse. Rien n’y fut changé, si ce n’est que Valerio mena une vie régulière, et que Gian Antonio Bianchini, entraîné par les bons exemples et gagné par les bons procédés, devint un artiste estimable dans son talent et dans sa conduite. Des jours heureux se levèrent sur ce nouvel horizon, et les Zuccati produisirent d’autres chefs-d’œuvre dont le détail serait trop long, et que vous avez d’ailleurs, mes enfans, tout le loisir d’aller admirer dans nos basiliques. Le saint Jérôme du Bozza est dans la salle du trésor, celui de Gian Antonio dans la sacristie de Saint-Marc, celui de Zuccato fut envoyé en présent au duc de Savoie. Je ne saurais vous dire ce qu’il est devenu.

Ici finit le récit de l’abbé. Des réclamations s’élevèrent relativement au Bozza. Malgré les grands torts de cet artiste, ses grandes souffrances nous intéressaient.

— Le Bozza, reprit l’abbé, ne put supporter l’idée de travailler sous les ordres des Zuccati. La crainte d’avoir à les trouver encore généreux après toutes ses fautes lui était plus affreuse que celle de tous les châtimens. Il erra de ville en ville, travaillant tantôt à Bologne, tantôt à Padoue, vivant de peu, et gagnant encore moins. Malgré son grand talent et son diplôme, ses manières hautaines et son air sombre inspiraient la méfiance. Il était peu sensible à la misère ; mais l’obscurité fit le tourment de sa vie. Il revint à Venise au bout de quelques années, et les Zuccati obtinrent, pour lui, une maîtrise et des travaux. Les temps étaient changés. Le gouvernement était devenu moins strict dans ses réformes. Le Bozza put travailler, mais il paraît que le Tintoret ne put jamais lui pardonner sa conduite passée à l’égard des Zuccati. Le rigide vieillard, forcé de lui fournir des cartons, les lui faisait attendre si long-temps, que nous avons une lettre du Bozza où il se plaint d’être réduit à la misère par les lenteurs interminables du maître. Les Zuccati n’avaient rien de semblable à craindre, ils pouvaient dessiner eux-mêmes leurs sujets,