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mœurs, s’était trouvé le lendemain de son procès. En découvrant, dans le coffre de son frère, les quittances de ses créanciers, Valerio avait pleuré comme l’enfant prodigue. Les grandes ames ont souvent de grandes taches, mais elles les effacent, et c’est là ce qui distingue leurs défauts de ceux du vulgaire. Aussi, depuis ce jour, Valerio, quoique dans les plus belles conditions de fortune, ne se départit jamais des règles de modération et de simplicité qu’il s’imposa dans le secret de son cœur. Il ne dit jamais un mot de cette découverte ni de cette résolution à personne ; mais il montra sa reconnaissance à Francesco par le dévouement de toute sa vie, et sa fermeté d’ame par une moralité à toute épreuve.

Une douce joie, une gaieté laborieuse, les chants et les rires réveillèrent les échos endormis de cette petite salle. L’hiver était rude ; mais le bois ne manquait pas, et chacun avait désormais une belle robe de drap fourrée de zibeline et un chaud pourpoint de velours. Francesco se rétablit comme par miracle. La Nina recouvra sa fraîcheur et sa gentillesse, et devint enceinte d’un second enfant, dont l’attente la consola de la perte de son premier-né. Celui qui avait survécu à la peste grandissait à vue d’œil, et la petite Maria Robusti, sa marraine, venait souvent l’amuser dans l’atelier des Zuccati. Cette jeune fille charmante prenait un naïf intérêt aux travaux de ses jeunes compères, et déjà elle était en état d’en apprécier le mérite.

Enfin, le grand jour arriva, et tous les tableaux furent portés dans la sacristie de Saint-Marc, où la commission était assemblée. On avait adjoint le Sansovino aux maîtres précédemment nommés.

Valerio avait fait de son mieux, une vive espérance était descendue dans son sein. Il arrivait au concours avec cette sainte confiance qui n’exclut pas la modestie. Il aimait l’art pour lui-même, il était heureux d’avoir réussi à rendre sa pensée, et l’injustice des hommes ne pouvait lui ôter cette innocente satisfaction. Son frère était vivement ému, mais sans mauvaise honte, sans haine et sans jalousie. Son beau visage pâle, ses lèvres délicates et frémissantes, son regard à la fois timide et fier, attendrirent vivement les maîtres de la commission. Tous désirèrent pouvoir lui adjuger le prix ; mais leur attention fut aussitôt détournée par un homme si blême, si tremblant, si convulsivement courbé en salutations demi-craintives, demi-insolentes, qu’ils en furent presque effrayés, comme on l’est à l’aspect d’un fou. Bientôt cependant le Bozza reprit un sang-froid et une tenue convenables ; mais à chaque instant, il se sentait près de s’évanouir.