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LES MAÎTRES MOSAÏSTES.

l’amitié. La fortune de leur père était plus que médiocre ; son orgueil s’était toujours refusé à recevoir aucun secours de fils placés, selon lui, dans une condition si basse. Tant qu’ils avaient été dans la prospérité, ils lui avaient fait passer une partie de leur salaire ; et, pour qu’il consentît à recevoir cet argent, il avait fallu que le Titien le lui fît agréer en son propre nom. Maintenant que les Zuccati ne pouvaient plus assister leur père, le Titien continuait, pour son propre compte, à servir cette rente au vieillard, et les fils reconnaissans lui cachaient leur misère, dans la crainte d’abuser de sa générosité.

Heureusement le Tintoret veillait sur eux. Lui-même était fort gêné à cette époque. L’art semblait tomber en discrédit ; les confréries faisaient des ex voto au rabais ; on parlait de vendre tous les tableaux des scuole, pour en distribuer l’argent aux pauvres ouvriers des corporations. Les patriciens cachaient leur luxe au fond des palais, afin de n’être point frappés de trop rudes impôts en faveur des classes pauvres. Néanmoins le Tintoret trouvait encore moyen de secourir ses amis infortunés. Outre qu’à leur insu il leur faisait acheter beaucoup d’ornemens, il ne cessait d’insister pour que le sénat leur donnât de l’emploi. Il réussit enfin à prouver la nécessité de nouvelles réparations à la basilique. Un certain nombre de parois de mosaïques byzantines (celles qu’on voit encore à Saint-Marc) pouvaient être conservées ; mais il fallait les lever entièrement et les replacer sur un nouveau mastic. D’autres parties étaient tout-à-fait irréparables, et il fallait les remplacer par de nouvelles compositions, avant que le tout ne tombât en poussière, ce qui occasionnerait plus de dépenses qu’on ne pensait. Le sénat décréta ces travaux et vota des sommes à cet effet ; mais il décida que le nombre des ouvriers en mosaïque serait réduit, et que pour faire cesser toute rivalité, il n’y aurait qu’un chef et qu’une école. Ce chef serait celui qu’après un concours de tous les ouvriers précédemment employés, les peintres de la commission jugeraient le plus habile ; son école serait recrutée aussitôt, non pas à son choix, selon ses sympathies et ses intérêts de famille, mais selon le degré d’habileté des autres concurrens reconnus par la commission. Il y aurait donc un grand prix, un second prix, et quatre accessit. Le nombre des maîtres serait limité à six.

La commission fut donc nommée et composée des peintres qui avaient examiné les travaux des Zuccati et des Bianchini. Le concours fut ouvert, et le sujet proposé fut un tableau de mosaïque représentant saint Jérôme. En même temps que le Tintoret porta