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grands lierres de sa cour agités par la brise. Ce tranquille spectacle lui semblait délicieux après le séjour des plombs, où l’absence d’air avait miné lentement sa vie.

Au temps de sa bonne fortune et de ses somptueux amusemens, Valerio avait contracté des dettes considérables ; ses créanciers le tourmentaient. Francesco découvrit ce secret et consacra toutes ses économies au paiement de ces dettes. Valerio ne le sut que long-temps après ; il était bien assez triste sans que le remords vint ajouter aux inquiétudes que lui causait la santé de son frère chéri. L’idée de le perdre ébranlait toutes les forces de son ame, et il sentait que malgré sa disposition naturelle à accepter les maux de la vie, il ne pourrait jamais se consoler de sa perte. Incapable de mélancolie, trop fort pour la résignation et trop fort aussi pour le désespoir, il tombait souvent dans des accès de violente indignation auxquels succédaient de brillantes espérances, et il entretenait Francesco de rêves de gloire et de bonheur, quoiqu’au fond personne moins que lui n’eût besoin de gloire pour être heureux.

Le vieux Sébastien les conjurait de reprendre le pinceau et de renoncer à la basse profession de mosaïste ; mais Francesco avait reçu un trop rude échec pour s’abandonner à de nouvelles espérances. Essayer à trente ans une nouvelle carrière était une résolution trop forte pour un esprit si blessé, pour un corps si affaibli. À ses peines se joignaient celles de ses amis ; sa disgrâce avait fait perdre à Ceccato son privilége de maîtrise ; lui et Marini languissaient dans une affreuse misère ; Francesco sollicitait en vain le paiement de son année de travail. Les finances étaient, comme toutes les autres parties de l’administration, désordonnées et languissantes. Toutes ses démarches étaient inutiles ; on le remettait de jour en jour, de semaine en semaine. La haine secrète du procurateur-caissier n’était pas étrangère à ces retards de paiement. C’était une vengeance sourde qu’il tirait de l’ironie des Zuccati, trop peu punie à son gré par le conseil.

Les Zuccati étaient résolus à partager leur dernier morceau de pain avec leurs fidèles apprentis. Ils nourrissaient Marini, Ceccato, sa jeune femme convalescente et son dernier enfant. Valerio tirait encore quelque argent des Grecs installés à Venise, en leur vendant des bijoux ; mais cette ressource ne serait plus suffisante pour une si nombreuse famille, lorsque les économies que Francesco avait pu garder seraient épuisées. Alors Valerio se reprochait amèrement de n’en avoir fait aucune ; il sentit trop tard que la prodigalité est