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LES MAÎTRES MOSAÏSTES.

un bon citoyen, mais si tu n’as pas autre chose à dire pour la défense de tes flls, il faut te retirer.

À un signe du magistrat, le familier qui avait amené Sébastien l’emmena. Le vieillard, en se retirant, jeta un regard de désespoir sur ses flls, puis se retournant une dernière fois vers les juges, joignit les mains en levant les yeux au ciel avec une expression si déchirante, qu’elle eût attendri les piliers de marbre de la grande salle ; mais le tribunal des dix était plus froid et plus inflexible encore. Après que les trois Bianchini eurent affirmé par serment leur accusation, Bartolomeo Bozza, sommé à son tour de rendre témoignage, leva la main sur le crucifix qu’on lui présentait, et dit :

— Je jure sur le Christ que j’ai passé trois mois aux plombs pour n’avoir pas voulu faire un faux témoignage.

Un tressaillement de surprise passa dans l’assemblée, Melchiore fronça le sourcil, Bianchini le rouge grinça des dents, et le jeune Valerio, se levant avec impétuosité, s’écria :

— Serait-il vrai, ô mon pauvre élève ! puis-je encore te plaindre et t’estimer ? Ah ! cette pensée allège tous mes maux.

— Tais-toi, Valerio Zuccato, dit le juge, et laisse parler le témoin.

Bartolomeo était aussi accablé, aussi malade que les Zuccati. Lui aussi avait subi les lentes tortures de la captivité. Il déclara que quelques jours avant la Saint-Marc Vincent Bianchini l’avait mené sur les planches des Zuccati pour lui faire voir de près et toucher plusieurs endroits de leur travail, où le carton peint remplaçait évidemment la pierre, et que de là il l’avait mené chez le procurateur-caissier, pour qu’il en déposât, ce qu’il avait fait dans l’indignation et dans la sincérité de son cœur. Depuis ce jour, convaincu de la mauvaise foi des Zuccati, il n’avait pas voulu être complice d’un travail qui ne pouvait pas manquer d’être condamné, et il avait travaillé dans l’école des Bianchini. Mais la veille de la Saint-Marc, Vincent, l’ayant encore conduit chez le procurateur, avait voulu l’engager à déposer qu’il avait été témoin oculaire du fait de l’accusation, ce à quoi il s’était refusé, parce que, s’il avait vu les preuves de la fraude, du moins il n’avait pas vu commettre cette fraude. Si je l’avais vu, dit-il, je n’aurais pas attendu l’avertissement des Bianchini pour quitter l’école des Zuccati, mais je n’avais jamais rien vu de semblable. Il n’existait même pas dans la conduite de mes maîtres le plus petit fait qui jusque-là eût pu rendre vraisemblable la découverte qu’on venait de me faire faire. Il m’était donc impossible de jurer par le Christ que je les avais vus employer le carton et le pin-