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celui des familles ducales. Sachez que Francesco et Valerio sont deux hommes que l’on peut faire périr dans les tortures, mais non déshonorer. Votre seigneurie fera bien d’appeler son médecin, car un venin mortel est répandu dans ses veines.

En achevant ces paroles terribles, Sébastien s’élança hors des procuraties et courut au palais ducal. Melchiore agita sa sonnette avec angoisse, demanda son médecin, se fit saigner, frictionner et médicamenter toute la nuit, croyant que le vieux Zuccato venait de lui donner la peste par sortilége. Il s’évanouit plusieurs fois et faillit mourir de peur.

xvii.

Sébastien Zuccato courut se jeter aux pieds du doge et lui demanda justice avec toute l’éloquence de l’amour paternel et de l’honneur outragé. Mocenigo l’écouta avec bonté et lui donna des marques de la plus haute estime. Il s’affligea de la longue torture qu’avaient subie ses fils, et prit sur lui de les faire transférer dans une prison moins affreuse. Il permit même au vieux Sébastien de les voir tous les jours et de leur donner les soins que lui suggérerait sa tendresse ; mais il ne lui cacha pas que les charges les plus graves pesaient sur eux, et que leur procès serait une affaire longue et sérieuse.

Cependant, grâce à l’ardente obsession du vieux Zuccato, à l’influence du Titien, du Tintoret, et de plusieurs autres grands maîtres, tous amis des Zuccati, grâce aussi à la bienveillante protection du doge, le conseil des dix, dont la peste avait suspendu les fonctions depuis plusieurs mois, s’assembla enfin, et la première affaire dont fut saisi ce tribunal austère, fut le procès des Zuccati, accusés :

1o  D’avoir volé leur salaire en faisant à la hâte des travaux sans solidité, par exemple, en travaillant hors de saison (fuor di stagione), c’est-à-dire dans les temps de gelée, où les ouvrages de mastic ne tiennent pas, afin de réparer le temps perdu, durant la belle saison, en promenades, en dissipations et en débauches de toute espèce ;

2o  D’avoir fait des figures mal dessinées et bizarrement coloriées, en s’obstinant au travail une grande partie des nuits, toujours à l’effet de réparer leur précédente paresse (ingordigia) ;

3o  D’avoir fait cette détestable besogne par ignorance complète du métier, ignorance qui rendait Valerio Zuccato incapable de faire autre chose que des ouvrages frivoles pour la toilette des femmes et des jeunes gens (cuffie, frastagli, vesture, etc.), lesquels travaux