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l’unité de ce poème n’est pas explicite, du moins elle est facilement intelligible, et, dans un poème de cette nature, cette unité est suffisante. Sans doute il eût mieux valu relier entre elles ces diverses parties et trouver un pivot central qui réglât tous les mouvemens de la pensée ; mais il est probable que M. Barbier a préféré la division avouée à l’unité apparente, qu’il s’est résolu à couper son poème en plusieurs chants pour éviter la succession monotone des apostrophes ; et, s’il ne s’est pas senti assez fort pour éviter cet écueil, sa conduite a été prudente. Le Campo Santo, qui forme la première partie du Pianto, rappelle en plusieurs endroits l’énergie virile des Iambes. Le dialogue d’Orcagna et du poète sur les misères de la vie humaine, sur le néant des grandeurs, la fragilité des trônes et la sainteté de l’art, est uni par une étroite parenté à l’Idole et à Melpomène. Pourtant le lecteur sent déjà circuler dans le Campo Santo un air plus pur, une lumière plus abondante. Il est visible que le poète respire et chante sous un ciel plus chaud, et contemple un paysage plus richement coloré. Pour peu qu’on ait le goût des analogies, il est facile de suprendre un air de famille entre les parties graves du dialogue et les tercets de la Divine Comédie ; mais à notre avis cette ressemblance ne diminue aucunement l’originalité du poète français, car elle est tout entière dans la tournure des pensées plutôt que dans la série des expressions. Que les tombeaux et les fresques de Pise aient inspiré à M. Barbier un chant triste et religieux pareil à ceux que l’illustre Florentin composait dans son exil, il n’y a pas lieu à s’en étonner ; la lecture habituelle de la Divine Comédie et le spectacle de la solitude expliquent très bien cette ressemblance sans altérer l’individualité poétique de M. Barbier ; et je pense que le Campo Santo restera parmi les plus durables monumens de l’imagination française.

Le Campo Vaccino n’a plus qu’une parenté très lointaine avec les Iambes. En quittant Orcagna pour Raphaël, M. Barbier a tout-à-fait dépouillé le vieil homme ; il a oublié la satire, la colère, la poussière et la boue de nos rues ; il s’est transformé, il est devenu Italien. Comme les pâtres de la campagne romaine, il s’assied sur un tronçon de colonne, et il suit les progrès de l’ombre qui s’abaisse ; il mesure d’un œil indolent la marche de la nuit envahissante, et les derniers reflets de la lumière sur les cimes dorées de l’horizon. Il respire si librement dans le Campo Vaccino, il nomme si bien par leurs noms toutes les ruines qui parlent du passé et qui racontent la grandeur évanouie de la ville aux sept collines ; il s’est si bien familiarisé