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LES MAÎTRES MOSAÏSTES.

fit à Valerio l’effet d’un mauvais augure. Elle semblait inquiète, et après avoir appelé, à sa manière, pour ramener quelque compagne en retard, elle s’éleva dans les airs en poussant un certain cri que les Vénitiens connaissent bien, et qu’ils n’entendent jamais sans une sorte de consternation. C’est le cri auquel ces oiseaux nomades se rassemblent, quand le moment de changer d’hémisphère est venu pour eux. Ils partent tous ensemble par bandes nombreuses, le ciel en est obscurci, et le même jour les voit tous disparaître jusqu’au dernier. Leur départ est le signal d’un fléau véritable. Les mozelins, insectes imperceptibles dont le mince et continuel bourdonnement est irritant jusqu’à la fièvre et dont la piqûre est insupportable, remplissent l’atmosphère, et n’étant plus poursuivis dans les hautes régions de l’air par l’hirondelle chasseresse, se rabattent sur les habitations, les infestent, et ravissent le sommeil à tous les Vénitiens que les soins du luxe ne préservent pas de leurs atteintes.

Sous les plombs et dans un temps où l’air chargé d’exhalaisons pestilentielles entrait en aiguillons venimeux dans tous les pores, l’arrivée des mozelins, que devait bientôt suivre celle des scorpions, était comme un signal de mort pour Francesco. Déjà dévoré d’une fièvre ardente, il goûtait cependant la nuit un peu de repos pendant les courtes heures où la brise rafraîchissante parvenait jusqu’à lui ; mais ce repos allait lui être ravi. C’est la nuit que les cousins pénètrent dans toutes les demeures, et surtout dans celles où l’haleine chaude de l’homme les attire. Valerio prêta l’oreille avec anxiété. Il entendit mille cris aigus, mille gazouillemens inquiets et empressés, s’appeler, se répondre, s’éloigner, se rapprocher, se réunir, s’établir comme pour délibérer sur les combles, et s’envoler en jetant leur adieu perçant, comme une dernière malédiction à la cité dolente. Valerio se plaça sous la lucarne d’où il ne pouvait voir que l’éther. Il vit des points noirs se mouvoir dans le ciel, à une hauteur incommensurable, non plus en décrivant les grands cercles réguliers de la chasse, mais en fuyant tous en ligne droite vers l’orient. C’étaient les martinets qui étaient déjà en route. Francesco avait entendu le cri de départ. Il avait lu sur le visage de Valerio l’effroi de cette découverte. Quand la souffrance accable l’homme, il ne saurait prévoir un surcroît de souffrance, imminent, inévitable cependant ; il n’a pas la force d’ajouter par la pensée le mal futur au mal présent. Quand ce mal arrive, il est comme écrasé sous une catastrophe imprévue. La mort elle-même, ce dénouement si fatal, si nécessaire