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lagunes et de tous les matelots du port attroupés sur la rive et à bord des bâtimens à l’ancre, le bruit et le mouvement ranimèrent un peu Valerio. Il renaissait à l’espérance de retrouver son frère pendant les offices, dont on sonnait les premiers coups, et qui allaient suspendre les divertissemens, lorsqu’une gaîne de poignard tomba des combles du palais ducal à ses pieds. Frappé d’une subite révélation, il la saisit, et en tira un billet écrit avec un bout de fusain qui s’était trouvé par bonheur dans la poche de Francesco.

« Compagnons qui passez dans la joie, au son des fanfares, dites à Valerio Zuccato que son frère est sous les plombs, et qu’il attend de lui… » Le billet n’en contenait pas davantage. Entendant la musique se rapprocher, et craignant de la laisser passer, Francesco, qui ne pouvait rien voir, mais qui reconnaissait la marche favorite de Valerio jouée par les hautbois, ne s’était pas donné le temps d’achever sa pensée, et il avait lancé son avertissement par la fente ménagée en haut des fenêtres murées qu’on appelle avec raison jour de souffrance en style de maçonnerie.

Un cri terrible sortit de la poitrine de Valerio, et Francesco, malgré le bruit des instrumens et celui de la foule, entendit sa voix de tonnerre prononcer ces mots :

— Mon frère sous les plombs ! Malheur ! malheur à ceux qui l’y ont fait monter !

Valerio s’arrêta par un mouvement si énergique, qu’une armée entière ne l’eût pas entraîné. Toute la compagnie s’arrêta spontanément avec lui ; la fatale nouvelle fut répandue en un instant dans tous les rangs, et l’on se dispersa, les uns pour suivre Valerio, qui s’élança comme la foudre sous les arcades du palais, les autres pour chercher les Bianchini et leur arracher de force le secret de leurs machinations.

Valerio courait, transporté de rage et de douleur, sans trop savoir où il allait. Mais, obéissant à je ne sais quel instinct, il entra dans la cour du palais ducal. Le doge remontait en cet instant l’escalier des Géans avec le duc d’Anjou, les procurateurs et une partie du sénat. Valerio s’élança audacieusement au milieu de tous ces magnifiques seigneurs, et se faisant jour par la force, il alla se jeter aux pieds du doge, et le saisit même par son manteau d’hermine.

— Qu’as-tu, mon enfant ? dit Mocenigo, en se retournant vers lui avec bonté. D’où vient que ton beau visage porte l’empreinte du désespoir ? as-tu subi une injustice ? puis-je la réparer ?

— Altesse, s’écria Valerio en portant à ses lèvres le pan du man-