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LES MAÎTRES MOSAÏSTES.

habiles coureurs de la compagnie. Dominique Bianchini, dit le Rossetto, était très bon cavalier. Il avait habité long-temps d’autres pays que Venise, où le talent de l’équitation était fort peu répandu. Les compagnons du Lézard n’étaient pas tous capables de se tenir sur les étriers ; ceux-là seuls qui avaient été élevés à la campagne ou qui étaient étrangers à la ville, savaient manier la bride et rester d’aplomb sur cette monture moins paisible que la gondole vénitienne. Trois des plus exercés se présentèrent pour faire tête aux Bianchini, et furent complètement battus au premier tour ; trois autres leur succédèrent et eurent le même sort. L’honneur de la compagnie était compromis. Valerio commençait à en souffrir, car jusque-là ses cavaliers avaient eu l’avantage sur tous les jeunes gens de la ville, et même sur de nobles seigneurs qui n’avaient pas dédaigné de se mesurer avec eux. Cependant il avait le cœur si triste, qu’il ne se souciait point de relever le gant et de rabaisser l’orgueil des Bianchini. Vincent, voyant son indifférence, et l’attribuant à la crainte d’être vaincu, lui cria de sa voix de maçon :

— Hola ! hé ! monseigneur le prince des Lézards, êtes-vous changé en tortue, et ne trouverez-vous plus de champions à nous opposer ?

Valerio fit un signe, Ceccato et Marini s’avancèrent.

— Et vous, seigneur Valerio, royauté lézardée, s’écria de son côté Dominique le rouge, ne daignerez-vous pas vous risquer avec un antagoniste d’aussi mince qualité que moi ?

— Tout à l’heure, s’il le faut, répondit Valerio. Laissez vos frères s’essayer d’abord avec mes deux compagnons, et si vous êtes battus, je vous donnerai revanche.

Les deux Bianchini eurent encore la victoire, et Valerio, résolu à ne pas leur laisser l’avantage, piqua enfin son cheval et le lança au galop. Les fanfares éclatèrent en sons plus fiers et plus joyeux, lorsqu’on le vit rapide comme l’éclair faire trois fois le tour de l’arène sans daigner lever le bras ni regarder le but, et tout à coup, lorsqu’il semblait penser à autre chose et agir comme par distraction, emporter les cinq bagues d’un air nonchalant et dédaigneux. Les Bianchini n’en avaient encore pris que quatre, ils étaient fatigués d’ailleurs, et comme ils avaient toujours gagné jusque-là, leur défaite n’était pas propre à leur causer beaucoup de honte. Mais le Rossetto, qui n’avait pas pris part à cette dernière épreuve et qui se reposait depuis quelques instans, brûlait du désir d’humilier Valerio. Il le haïssait particulièrement, surtout depuis que Valerio l’avait em-