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gue, dit-il, des allusions et des métaphores qui ne peuvent s’en détacher, mais toutefois emportant, ainsi qu’une épouse répudiée, la plus grande partie de sa dot. En parlant des mots d’abord nobles, de quelques mots employés par Malherbe lui-même, mais qui finirent par être déshonorés dans un emploi familier, et qu’il fallut expulser alors de la langue de choix : « C’est le cheval de parade, dit il, qui, sur ses vieux jours, est envoyé à la charrue. » Ailleurs (préface du troisième volume), quand, voulant marquer que la poésie d’une époque exprime encore moins ce qu’elle a que ce qui lui manque et ce qu’elle aime, il dit : « C’est une médaille vivante où les vides creusés dans le coin se traduisent en saillies sur le bronze ou sur l’or, » ceci n’est-il pas frappé de l’idée à l’image comme la médaille même ? Un tel mot cité me paraît la juste médaille du style de M. Vinet quand il devient du meilleur aloi : car c’est alors un écrivain plutôt encore graveur que peintre.

J’ai parlé des excellentes petites biographies et des notices en quelques lignes, mises à la tête des extraits. Mais tous ces mérites se retrouvent condensés, assemblés et agrandis dans la Revue des principaux Prosateurs et Poètes français, morceau très plein et très achevé, véritable chef-d’œuvre littéraire de M. Vinet. Toutes ses qualités de précision, de propriété, de suite, de sagacité fine et de relief en peu d’espace, y sont fondues entre elles, et en équilibre avec le sujet même, qui ne demandait ni un certain essor, ni une certaine flamme, dont l’auteur ne manquerait peut-être pas, mais qu’il s’interdit. C’est le sujet que M. Nisard a également traité dans un fort bon morceau, où pourtant il s’est attaché plutôt à quelques principales figures, et où il s’est donné plus de carrière. M. Vinet n’a fait que fournir celle que lui traçait régulièrement son titre même. Il passe en revue toute la littérature française, depuis Villehardouin jusqu’à M. de Chateaubriand, et en insistant avec continuité sur les trois siècles littéraires. Il n’y a pas un point, pas une maille du tissu qui ne soit solide, exactement serrée ; c’est la lecture la plus nourrie, la plus utile, la plus agréable même, aussi bien que la plus intense. Le style de Marie-Joseph Chénier, dans son Tableau de la Littérature, égalé ici pour la netteté et l’élégance, est surpassé pour la nouveauté et la plénitude du sens. Je ne sais que la manière de M. Daunou, dans son Éloge de Boileau, qui me paraisse se pouvoir comparer avec convenance et avantage à celle de M. Vinet dans ce discours. Combien d’heureux traits d’une concision ingénieuse, où la pensée se double, en quelque sorte, dans l’expression, et fait deux coups d’un même jet ! Ce sont