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CRITIQUES ET MORALISTES FRANÇAIS.

fauts essentiels à relever, et qui tiennent au procédé même par lequel les qualités se sont acquises ou accrues. Il y a des duretés de mots et d’images[1] ; il y a de ternes et pénibles endroits[2], des invasions du style doctrinaire et rationnel[3], qui font que tout d’un coup la transparence a cessé. Une image physique, très précise, s’insère quelquefois, s’incruste, pour ainsi dire, dans une trame d’ailleurs tout abstraite, et quoique ce puisse être très juste de sens à la réflexion, cela a fait faire de prime-abord un petit soubresaut[4]. Préoccupé qu’il est, avant tout, de la stricte déduction, l’écrivain ne se fie pas assez à la liaison générale et au courant simple de l’idée. La concaténation ininterrompue, comme il dirait peut-être, remplace souvent sans nécessité le libre jeu de l’esprit ; l’attention se reposerait utilement dans des endroits de diffusion heureuse. La propriété parfaite et si précieuse des termes, où il se complaît, accuse quelquefois trop la vigilance à chaque mot, une véracité de détail qui ne se contente pas toujours d’être claire et distincte, mais qui veut être authentique, pour me servir d’une expression qu’il aime. À force d’accentuer le mot dans sa propriété, il lui arrive de le rendre dur. Les habitudes intérieures du devoir, de la règle morale, ont passé sur son style, en ont déterminé l’allure, et sans doute la marquent trop par endroits.

J’ai dénoncé tous les défauts parce que M. Vinet est un des maîtres les plus éclairés de la diction, parce que, si j’osais exprimer toute ma pensée, je dirais qu’après M. Daunou pour l’ancienne école, après M. Villemain pour l’école plus récente, il est, à mon jugement, de tous les écrivains français celui qui a le plus analysé les modèles, décomposé et dénombré la langue, recherché ses limites et son centre, noté ses variables et véritables acceptions. Et combien il est ingénieux et vif à animer l’analyse la plus abstraite de la grammaire ! Quand il nous signale en une langue les divers systèmes de mots qui disparaissent ou s’introduisent selon les changemens plus ou moins graves survenus dans les mœurs, il montre l’un ou l’autre de ces cortèges mobiles qui se retire avec le temps, laissant à la vérité dans la lan-

  1. Par exemple, une lecture où règne une vérité si concrète ; … un fait ressortissant à ce qu’il y a d’universel et de fondamental dans l’esprit humain ; … les grèves arides de l’égoïsme, etc.
  2. Nous n’avons pas l’option de nos adversaires, etc. (Tom. i, pag. xv.)
  3. Un langage qui émousse l’individualité, et toutes ces formes trop fréquentes, répudier l’utilité immédiate, abdiquer la rigueur des principes, etc., etc.
  4. Ne permettez pas à la langue de s’ankiloser, (en parlant de Quinault), c’est bien lui qui a désossé la langue française, etc.