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CRITIQUES ET MORALISTES FRANÇAIS.

chures de lui sur le même sujet, et dont une polémique de charité et de justice animait l’accent.

Mais ce n’est que dans ses écrits subséquens, dans les discours de sa Chrestomathie d’abord, que nous trouvons M. Vinet écrivain complet, critique profond. À partir de ce moment, chacune de ses paroles compte, et elles ont pourtant si peu retenti chez nous, qu’on nous pardonnera d’y insister un peu.

La Chrestomathie française n’est, comme son nom l’indique, qu’un recueil, un choix utile de morceaux de vers et de prose, tirés des meilleurs auteurs français, distribués et gradués en trois volumes pour les âges, 1o l’enfance, 2o l’adolescence, 3o la jeunesse et l’âge mûr. Ces morceaux sont accompagnés fréquemment d’analyses, toujours de notes, quelquefois de petites notices sur les auteurs, dans lesquelles, en peu de lignes d’une concision excellente, tout point essentiel est rendu frappant, tout point en réserve est touché. M. Vinet, dans sa modestie, n’a voulu et n’a cru faire que cela, et il semble craindre même de n’avoir pas atteint son but : il l’a, selon nous, dépassé de beaucoup, ou mieux, surpassé.

Son discours à M. Monnard, dans lequel il discute les avantages qu’il y aurait à étudier et à analyser la langue et la littérature maternelle comme on étudie les langues anciennes, est tout d’abord propre à faire ressortir les qualités de grammairien analytique et de rhéteur, de Quintilien et de Rollin accompli, que possède M. Vinet. Il ne faut pas oublier sa situation précise. Il est Français de littérature, de langue ; il ne l’est pas de nation, et il professe en pays allemand. Mais, quand il professerait, non pas à Bâle, mais à Lausanne même, c’est-à-dire au sein de la Suisse française, il aurait encore à faire au français, comme à une langue qui, bien qu’elle soit la sienne, doit toujours là un peu s’apprendre dans les grammaires, pour être sue très correctement. La thèse qu’il soutient, et qui serait fort à défendre à Paris même (qu’il importe d’étudier les classiques français pas à pas et dans un esprit scientifique), est surtout d’application rigoureuse aux lieux où il écrit. Quand il combat ceux qu’il appelle les réalistes à Bâle, et qui voudraient éliminer le plus possible la littérature pure de l’enseignement, il soutient, à propos des classiques français, la même cause que chez nous M. Saint-Marc Girardin contre M. de Tracy, M. de Lamartine contre M. Arago, à propos des classiques grecs et latins ; et s’il déploie dans la discussion moins de prestesse sémillante, ou de riche et poétique abandon, que nos champions de France, il y porte des raisons encore mieux enchaî-