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toute du xviiie siècle au lieu du xviie, où elle était restée. Le séjour de Mme Necker à Paris, les retours de Mme de Staël à Coppet, hâtèrent et entretinrent cette initiation. Benjamin Constant, grace à l’atmosphère environnante qui favorisait la nature de son esprit, était, à douze ans, un enfant de Voltaire[1]. Par sa famille, il avait pris les traditions et le ton du xviiie siècle ; avant d’être venu à Paris, il était Parisien. Les Lettres écrites de Lausanne, délicieux roman de Mme de Charrière, montrent combien le goût, le naturel choisi et l’imagination aimable étaient possibles, à la fin du dernier siècle, dans la bonne société de Lausanne, plus littéraire peut-être et moins scientifique que ne l’était alors celle de Genève. Les romans de Mme de Montolieu montrent seulement le côté romanesque et vaguement pathétique qui s’exaltait de Rousseau, tout en se troublant de l’Allemagne. Bonstetten, qui vécut long-temps à Nyon avant d’être à Genève, était, à travers son accent allemand de Berne, un homme du xviiie siècle accompli. Un autre Bernois du siècle passé, qui tenait au français par le pays de Vaud, avait fait, dans un poème intitulé : Vue d’Anet, ces vers dignes de Chaulieu :

Quittons les bois et les montagnes ;
Je vois couler la Broye[2] à travers les roseaux ;
Son onde, partagée en différens canaux,
S’égare avec plaisir dans de vastes campagnes,
Et forme dans la plaine un labyrinthe d’eaux.
Rivière tranquille et chérie,
Que j’aime à suivre tes détours !
Ton eau silencieuse en son paisible cours
Présente à mon esprit l’image de la vie :
Elle semble immobile et s’écoule toujours.

Cette continuation, ce progrès de littérature et de poésie n’a pas cessé de nos jours, comme bien l’on pense. L’émancipation du pays de Vaud et sa nationalité constituée ont assuré aux générations actuelles des études plus fortes et plus d’élan. Le mouvement romantique y a eu son action, et on s’en dégage maintenant après s’en être fortifié. Sans parler des poésies publiées et connues comme le recueil des Deux Voix[3], il y a bien de jeunes espérances, et qui ne se gâtent pas jusqu’ici de fausses ambitions. Les étudians de Lausanne aiment

  1. Voir, au tome ier de la Chrestomathie de M. Vinet, une charmante lettre écrite de Bruxelles par Benjamin Constant, âgé de douze ans, à sa grand’mère : l’homme y perce déjà tout entier.
  2. Rivière qui se jette dans le lac de Morat.
  3. Lausanne, 1835.