— Tu es bien là où tu es. Écoute et réponds-moi. Veux-tu renoncer à Barra ?
— J’ai sa foi, Barra a la mienne.
— Veux-tu renoncer à Barra ? — Et Power accompagnait ces paroles d’un terrible froncement de sourcil, et armait lentement le coutelas qui pendait à sa ceinture.
— Renoncer à Barra ! Mais je l’aime…
— Tu l’aimes, moi aussi je l’aime ! — Et le couteau ouvert s’approchait de la courroie.
Harris pâlit d’une façon effrayante, ses dents grincèrent ; il regarda au-dessous de lui et vit la mer dans une infinie profondeur, la mer hérissée de quelques rocs noirs, blancs d’écume à leur ceinture ; il leva la tête et vit le ciel, le rocher surplombant, l’œil hagard de l’Irlandais et le couteau qui brillait auprès de la courroie. Ses lèvres se serrèrent avec désespoir ; il donna une violente impulsion à la corde, qui le rapprocha du rocher, mais à moins d’être un gannet ou un grimpereau de montagne, il était impossible de se cramponner à ce rocher incliné au-dessus de lui. La courroie cependant n’était pas encore coupée, et Harris, quand les balancemens de la corde eurent cessé, se retrouva à la même place que tout à l’heure. Son compagnon de chasse était toujours debout sur le bord du rocher ; Harris rencontra en frémissant son regard farouche et résolu.
— Veux-tu renoncer à Barra ?
— Et toi, frère, veux-tu ma mort ? — Le regard du malheureux jeune homme était suppliant, de grosses gouttes de sueur coulaient sur ses tempes, où ses cheveux étaient droits comme les dards d’un porc-épic. — Veux-tu ma mort, la mort d’un ami ?
— Non ; renonce à Barra, rends-moi son anneau de fiançailles, et tu vivras.
— Jamais !
— Jamais !… Tu l’auras voulu !
Le couteau s’approcha de la courroie, et la lame tranchante entama l’enveloppe de peau de mouton.
— Brigand d’étranger ! cria le malheureux Harris, ah ! brigand, du moins tu mourras avec moi ; et lançant à la tête de son compagnon un morceau de roc qu’il venait d’arracher dans les efforts qu’il faisait pour se retenir, il l’atteignit au milieu du front. Power chancela sur son étroite corniche, et son sang coula en abondance.
— Je serai donc vengé ! cria Harris plein d’une terrible joie, et se cramponnant à la corde que Power, aveuglé par le sang qui jaillissait à flots de sa blessure, s’efforçait de couper, il lui donna une violente secousse.
Power chancela de nouveau, essuya encore une fois le sang qui ruisselait sur son visage, et qui remplissait ses yeux, fit un dernier effort pour couper la courroie dont deux des lanières tordues avaient déjà cédé à l’acier, et pour se séparer de son compagnon qui, furieux et désespéré, bondissait au