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SOUVENIRS D’ÉCOSSE.

— Oui, c’est un half-penny dont on a voulu faire un othon, dit sir Thomas en riant ; les antiquaires n’en font jamais d’autres. Mais, à propos de savans, et par conséquent à propos de bœuf, combien de têtes de bétail nourrit votre petite île ?

— Un millier à peu près ; soixante à quatre-vingts vaches et bœufs noirs, tels que ceux qui paissent dans ces pâturages là-bas, et huit à neuf cents moutons et chèvres. L’espèce des vaches est petite, mais vigoureuse, et le lait que l’on en tire, mêlé à celui des brebis et des chèvres, forme un des fromages les plus estimés, même à Long-Island ! nous dit le ministre avec une emphase qui témoignait de sa simplicité. La race des moutons est norvégienne ; leur queue est très courte, leur chair est extrêmement fine et délicate ; leur laine est brune, comme vous pouvez le voir, et quelquefois, ainsi qu’en Islande, leur tête se couvre de plusieurs cornes au-delà du nombre ordinaire.

— Leur chair est délicate, dit sir Thomas, qui semblait rêver depuis un moment et qui s’était tout simplement arrêté sur ce mot ; demain je veux goûter un quartier de mouton saint-kildain à mon déjeuner.

Des ordres furent donnés en conséquence par le ministre, pour qui les désirs d’un personnage aussi considérable que sir Thomas semblaient autant de commandemens, et nous continuâmes. Nous étions arrivés dans un endroit solitaire, entouré de rochers noirs et escarpés. Le ministre nous montra un enfoncement dans le sol, et, en regardant avec attention de ce côté, nous vîmes qu’une source jaillissait de cet endroit, et, coulant entre des rochers, formait aussitôt un filet d’eau considérable.

— C’est la seule rivière de Saint-Kilda, nous dit notre cicérone, on l’appelle Tober-nam-Bay. Deux autres petites sources, dans d’autres parties de l’île, suintent entre des rochers, mais elles sont loin de fournir autant d’eau que Tober-nam-Bay. D’où jaillit ce torrent d’eau douce, au milieu de l’eau salée qui nous entoure ? Nous l’ignorons ; Dieu le sait. Si cette eau venait à tarir, je ne sais trop si les deux autres petites sources suffiraient à la consommation des habitans de l’île. Mais depuis des siècles, l’eau de Tober-nam-Bay coule sans interruption, et toujours avec la même abondance.

Bientôt nous arrivâmes à un point très élevé d’où la vue plongeait dans l’espace. L’Océan nous entourait de tous côtés, sombre, désert et sans bornes. Le roc qui formait l’île, s’étendait sous nos pieds. Autour de nous croissait un gazon épais d’un vert éclatant et uniforme. Le fond du sol était noir comme dans tous les pâturages où la tourbe est abondante. Cette île n’a pas un seul arbre, pas un seul arbuste, le bois y est à peu près inconnu, et les bancs de tourbe qui s’étendent sous les pâturages, sont la seule ressource de ses habitans, qui, sans cela, manqueraient de combustible. Les quinze ou vingt petits chevaux de race shetlandaise que possède l’île, sont employés spécialement au transport de la tourbe ; nous en vîmes quelques-uns chargés de ces dalles noires, qui descendaient au milieu des rochers dont eux-mêmes paraissaient quelques fragmens détachés.