Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/60

Cette page a été validée par deux contributeurs.
56
REVUE DES DEUX MONDES.

facilement pénétrables, accessibles à un plus grand nombre d’intelligences. Croire que M. Barbier a voulu rayer l’ambition politique du nombre des devoirs humains, serait se tromper étrangement ; une pareille pensée n’est jamais venue au poète ; et la foule, qui pour juger ne consulte que ses impressions personnelles, n’a jamais vu dans la Curée une telle signification. Cet absurde commentaire ne pouvait venir que des hommes qui se sentaient profondément blessés par cette satire équitable et qui voulaient dérouter l’opinion. Ce que M. Barbier s’est proposé de flétrir, c’est la cupidité, et certes les premiers jours du nouveau règne résumaient très bien toute la hideur de la cupidité. Les hommes que le bon sens public a désignés sous le nom d’hommes du lendemain sont dessinés dans la Curée avec une rare énergie, mais aussi avec une rare vérité. Entre la cupidité qui partage avidement les dépouilles du vaincu, entre les mâtins qui se précipitent sur le cadavre du sanglier et les hommes animés d’une ambition vraie, préparés par leurs études, par leurs convictions, au gouvernement du pays, il n’y a nulle comparaison, nulle alliance ; et ce n’est pas aux champions glorieux de la raison, de la justice, de la liberté que s’adresse la satire.

Pour attaquer l’Idole, il fallait un courage plus qu’ordinaire ; pour oser maudire Napoléon, il fallait compter sur l’éloquence de la vérité ; ni le courage, ni l’éloquence n’ont manqué à M. Barbier. Il a personnifié admirablement la France asservie et le capitaine victorieux ; il a trouvé, pour peindre l’invasion, l’insolence des armées alliées et la lâcheté impudique des femmes qui s’offraient à leurs baisers, des paroles qui sont gravées dans toutes les mémoires, mais qui malheureusement ne diminueront ni le prestige de la gloire, ni les chances de servitude réservées à nos neveux, s’ils oubliaient la défense pour la conquête. Dans le choix et le développement d’un pareil thème, il y a plus que du bonheur, plus que du talent, il y a l’inspiration d’une conscience élevée, généreuse, l’intelligence impartiale et désintéressée de l’histoire ; celui qui a écrit l’Idole porte à son pays un amour sérieux et sévère, une affection pleine de franchise et qui ne craint pas d’exciter la colère de son auditoire, en lui rappelant la honte du passé. Si la poésie, dans le temps où nous vivons, empruntait plus souvent ses inspirations à cet ordre d’idées, l’adulation et la servilité deviendraient plus rares, ou du moins ne se glorifieraient plus dans la poussière où nous les voyons ramper.

La Popularité, qui a le défaut, très grave sans doute, de rappeler presque littéralement le mouvement et les images de la Curée, ra-