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d’accord dans leurs intentions réelles et souvent opposés dans leur conduite active, mais réunis depuis 1830, par la main de Peel, pour essayer en vain d’arrêter le mouvement démocratique de la constitution. Je ne sais trop s’il y aurait des expressions assez fortes pour caractériser le talent déployé par sir Robert Peel durant la longue agonie des bourgs-pourris, qu’il défendit jour par jour pendant deux ans avec une persévérance infatigable. Toujours à son poste, toujours prêt à faire face aux exigences du moment, toujours ardent à dénoncer les dangers dont la réforme menaçait la constitution, il discutait en même temps chaque clause du bill, et défendait les droits de chaque bourg avec tout le zèle d’un avocat dévoué. Cependant il ne se compromit jamais auprès de la nation en soutenant des opinions extrêmes ; il ne se laissa jamais entraîner, comme le duc de Wellington, à des protestations folles et inopportunes contre toute réforme, quelle qu’elle fût. Jamais il ne perdit sa modération, ne sacrifia sa dignité dans de grossières invectives, comme Wetherell, Ellenborough, Carnarvon, et tant d’autres de ses alliés parlementaires. Sir Robert Peel eut de beaux momens dans cette longue discussion, où son éloquence trouva le sujet qu’elle affectionne le plus et dont elle se contente trop souvent, la peinture exagérée, terrible, emphatique, des périls et des maux que le triomphe absolu de la démocratie prépare à la société. C’est alors que sa voix a le plus de retentissement, quand il en appelle à la crainte des faibles, et quand il menace l’orgueil des forts, pour leur montrer dans le lointain je ne sais quel fantôme de destruction et de mort planant déjà sur la vieille Angleterre. Vous diriez un magicien puissant, ou une intelligence d’un ordre supérieur à celle des simples mortels, qui soulève le voile de l’avenir, et qui attire son auditoire éperdu sur les bords d’un abîme entr’ouvert, dont il lui fait sonder les ténébreuses profondeurs :

Aspice, namque omnem, quæ nunc obducta tuenti
Mortales visus habitat tibi, et humida circum
Caligat, nubem eripiam…
Apparent diræ facies, inimicaque Trojæ
Numina magna Deum.

Il y a cependant une faute, non-seulement de goût, mais encore de politique, dans ce genre d’éloquence, auquel M. Peel s’abandonne trop souvent. À l’entendre, il n’y aurait dans l’humanité que des