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frappé d’épouvante tous les ministres présens ; eh bien ! reprenez-le en détail : vous serez étonné de trouver que l’orateur n’a pas énoncé une seule opinion violente, qu’il ne s’est asservi à aucune des doctrines exclusives d’une nuance quelconque de son parti ; mais qu’il est resté lui-même, prudent, habile, sobre, prompt à saisir le côté faible de ses adversaires, et toujours assez maître de lui pour ne pas frapper ailleurs. C’est ce qui fait de sir Robert Peel le premier talent de discussion dans la chambre des communes, et je ne veux pas dire, en lui donnant cet éloge, qu’il manque de faconde, d’abondance et d’éclat. Il a l’avantage de posséder un goût très littéraire et une prodigieuse mémoire ; son langage est pur et correct, quoique rarement orné ; ses citations des poètes classiques latins et anglais, moyen oratoire fort en honneur, comme on le sait, dans nos assemblées, sont amenées peut-être avec ostentation, mais elles manquent rarement leur effet.

J’ai dit qu’il y a dix ans la lutte entre Canning et Peel était inégale, malgré toute l’adresse du dernier. Mais si l’on compare sir Robert Peel, tel qu’il est aujourd’hui, à Canning, tel qu’il était dans ses meilleurs jours, on peut, sans rien hasarder, mettre les deux orateurs en parallèle, et dans mon opinion, qui paraîtra sans doute une hérésie à beaucoup d’Anglais, Peel est le plus habile des deux. Avec moins d’éclairs de génie que Canning, moins d’enjouement, sans l’attrait de ses franches manières, Peel a plus d’énergie, plus de concentration, et se montre exempt du mauvais goût et des habitudes déclamatoires auxquelles Canning s’abandonnait trop souvent. Ceci, sans aucun doute, tient en partie à la nature des débats publics de notre temps, qui est plus sérieuse et plus pressante. Canning avait le loisir de déclamer sur la Grèce et le Portugal, l’Amérique du sud et la sainte-alliance ; l’éloquence de Peel s’exerce ordinairement sur le terrain plus étroit des intérêts intimes et des affaires domestiques du citoyen anglais. Tous deux étaient versés dans la littérature ; mais Peel est, de beaucoup, le plus érudit des deux. Souvent nous avons été éblouis et charmés par l’abondance du style poétique de Canning, ou par les éclairs brillans de son esprit ; mais l’action qu’il a eue sur ses contemporains n’a jamais égalé l’effet que produit Peel, lorsque, après avoir tracé un long et satirique tableau de la politique de ses adversaires, il semble en appeler au pays de la décision d’une majorité hostile, sommer la nation de juger entre lui et ses heureux antagonistes, et invoquer, au secours de la cause qu’il défend, les souvenirs les plus sacrés, les sympathies les plus vives du peuple