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HOMMES D’ÉTAT DE LA GRANDE-BRETAGNE.

quemment par son nom, pour avoir une réponse, quand ils s’imaginent avoir produit un argument triomphant que pas un conservateur ne pourra réfuter ; c’est de lui que les jeunes membres de son parti semblent attendre, avec plus de crainte encore que de respect, un regard d’approbation, un signe d’encouragement.

Qu’il parle, et toutes les moqueries indécentes de l’assemblée, qui épouvantent les jeunes débutans et coupent court aux paroles inutiles, cessent tout à coup ; vous pourriez, comme dit le proverbe anglais, entendre une souris trotter. Il est écouté sans interruption, jusqu’à ce que les applaudissemens bruyans de l’opposition annoncent qu’il touche à la conclusion d’un raisonnement foudroyant, et trouvent un écho dans les murmures irrités des bancs ministériels de la chambre. Sa voix est singulièrement imposante, parfaitement claire, plus sonore et plus distincte qu’aucune autre que j’aie jamais entendue, de sorte que pas une parole n’est perdue ; son intonation est admirable ; le principal défaut qu’on puisse lui reprocher est une sorte d’arrangement et de forme étudiée dans la disposition de ses argumens et dans son action oratoire, ce qui fait quelquefois ressembler cet habile homme d’état à un jeune débutant dans l’art de la déclamation. Son éloquence, comme toute bonne éloquence parlementaire, est essentiellement personnelle, et ses attaques contre les individus forment la meilleure partie de ses argumens. Mais il n’est jamais âpre ni violent ; il se sert de l’ironie plutôt que du sarcasme ; il se complaît surtout dans une sorte d’affirmation fière et tranquille de sa supériorité, et prend toujours l’air qui convient à un homme tel que lui, je veux dire à un homme qui est maître de son sujet. Il fait profession de démasquer les motifs et les principes de tous ses adversaires, d’exposer au grand jour leurs inconséquences, et de signaler leurs arrière-pensées d’égoïsme ou de méchanceté. Il est singulièrement prudent, quelquefois jusqu’à l’excès ; car, après avoir cédé à l’impression puissante que ne manque jamais de produire son éloquence, l’auditoire éprouve un sentiment de mécompte, s’il vient, en se repliant sur lui-même, à remarquer avec quel soin cet habile orateur a évité toutes les difficultés réelles de la question, et combien il s’est appliqué à enlever les applaudissemens plutôt qu’à convaincre. Mais où est l’orateur à qui on ne pourrait pas en reprocher autant ? Son adresse à éviter toute expression exagérée de sentiment, tout ce qui pourrait donner prise à une réplique perfide, est vraiment surprenante. Tel discours a excité l’enthousiasme de l’auditoire entier, a exalté jusqu’à la frénésie l’orgueilleuse joie des conservateurs et