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le respect, que si l’on veut comparer les sentimens du parti tory pour sir Robert Peel avec ceux de l’ancien parti whig pour lord Grey. Exact et froid dans ses habitudes, irréprochable dans sa vie privée, sir Robert Peel n’a donné aucune prise au scandale et à l’anecdote personnelle ; il a vécu tout entier pour le public, et n’est guère connu que dans les bureaux des ministères qu’il a traversés et dans les assemblées législatives. Si donc, en racontant son histoire, j’insiste exclusivement sur le côté politique de l’homme, c’est que le caractère de mon sujet me force à me renfermer dans ces limites.

Sir Robert Peel est grand et bien fait ; il marche rapidement, et l’habitude qu’il a de pencher en avant la tête et le cou diminue en apparence l’élévation réelle de sa taille ; il a le teint clair, et les cheveux légèrement rouges ; toute sa figure est jeune pour son âge ; il y a dans ses traits une expression marquée de talent et de finesse ; cependant on lui trouve dans l’œil, dans le front et dans les lèvres comprimées quelque chose qui trahit une disposition défiante, un caractère peu ouvert, et ne tend pas à inspirer la confiance au premier aspect. Il serait impossible de passer près de lui, dans une foule, sans le distinguer comme un homme remarquable ; mais sa vue n’inspire pas ce sentiment de sympathie puissante que ne manque jamais de produire une physionomie de l’ordre le plus élevé. Ses manières sont polies, mais un peu factices, et dépourvues de cette grace indéfinissable que donne une éducation aristocratique ; il a quelques nuances de vulgarité, comme, par exemple, l’habitude d’omettre l’aspiration au commencement des mots, ce qui, pour tout Anglais bien élevé, est le véritable Shibboleth de la pure prononciation. C’est pourquoi George IV, qui attachait plus d’importance que personne à la perfection des manières, et qui était lui-même un modèle d’élégance et de bon goût, n’eut jamais d’affection pour la personne de ce ministre, malgré la durée des hautes fonctions que sir Robert Peel remplit près de lui ; ses manières froides et sa tournure provinciale étaient également désagréables à ce monarque dédaigneux ; mais son défaut social le plus grand est une extrême froideur, une extrême sécheresse. Il n’a jamais été populaire, soit comme homme d’affaires près de ceux qui étaient en relation avec lui, soit dans le cercle de ses alliés politiques. Toujours sur ses gardes, défiant, inquiet, il n’a jamais cédé à ces faiblesses généreuses qui, plus sûrement que leurs plus hautes qualités, attachent aux hommes de génie leurs connaissances immédiates. À peine trouverait-on un homme d’état du même rang et de la même importance que sir Ro-