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LES MAÎTRES MOSAÏSTES.

en retard d’un seul jour, il est nécessaire de remonter un peu plus haut, et de dire que la basilique de Saint-Marc avait été, durant les années précédentes, exploitée par des ouvriers malhabiles et de mauvaise foi. Des dépenses considérables n’avaient servi qu’à entretenir une troupe d’artisans débauchés, dont il avait fallu refaire à grands frais les ouvrages. Le père Alberto et le Rizzo, premiers maîtres mosaïstes, avaient montré aux procurateurs la nécessité de mettre de l’ordre dans les dépenses et dans les travaux. Après plusieurs épreuves, on avait agréé Francesco Zuccato pour chef de l’atelier de mosaïque, et Vincent Bianchini, bien que banni pendant quatorze ans pour accusation de crime de fausse monnaie et pour avoir commis plusieurs assassinats, notamment un sur la personne de son barbier, avait, grâce à la vigueur de son travail et de celui de ses frères, trouvé protection auprès du procurateur-caissier, qui l’avait placé sous les ordres des Zuccati. Mais toute relation étant impossible entre ces deux familles, Francesco avait demandé la liberté de choisir d’autres élèves, et il l’avait obtenue. Pour mettre fin aux querelles qui s’élevèrent à cet égard, et pour contenter le procurateur qui s’intéressait aux Bianchini, la commission s’était décidée à croire sur parole ces derniers capables de travailler sans direction pour leur propre compte. On leur avait confié un emplacement moins favorable et une tâche plus longue qu’aux Zuccati ; ils avaient eux-mêmes réglé ces conditions et demandé cette épreuve de leurs talens. Depuis ce jour ils n’avaient pas cessé de se faire valoir auprès de la commission, qui n’était, du reste, rien moins qu’éclairée sur la matière, et de déprécier l’école de Francesco, dont la modestie et la candeur leur fournissaient des armes. La commission tenait à honneur de faire faire à moins de frais que par le passé des travaux plus considérables et mieux exécutés. Elle voulait, par l’inauguration de l’église restaurée, mériter les éloges et les récompenses du sénat. Francesco voyait arriver ce jour fatal, et c’était en vain qu’il s’épuisait ; l’espérance commençait à l’abandonner. Il voyait aussi Valerio, inaccessible aux soucis de l’inquiétude, persister à célébrer le même jour l’institution d’une compagnie d’hommes de plaisir. Le départ du Bozza dans un moment si critique acheva de le consterner. Quand même, se dit-il, Valerio se donnerait tout entier à son labeur, cela ne servirait pas à grand’chose. Qu’il s’amuse donc, puisqu’il a le bonheur d’être insensible à la honte d’une défaite.

Mais Valerio ne l’entendait pas ainsi. Il connaissait trop la susceptibilité chevaleresque de son frère pour ne pas savoir qu’il serait