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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

elle prêchait déjà ses amis avec tout le zèle et l’obsession d’une sainte tendresse. Son influence chrétienne sur la reine de Prusse, son dévouement sans bornes à cette héroïque et touchante infortune, et les bienfaits de consolation, d’espoir céleste, dont elle l’environna, sont suffisamment attestés. Il paraît qu’à cette époque elle avait composé d’autres ouvrages qui n’ont jamais été publiés ; elle cite dans sa lettre à Mlle Cochelet une Othilde, par laquelle elle aurait voulu retracer le dévouement chevaleresque du moyen-âge : « Oh ! que vous aimeriez cet ouvrage, écrit-elle naïvement ; il a été fait avec le ciel ; voilà pourquoi j’ose dire qu’il y a des beautés. » En se replaçant ainsi au moyen-âge, aux horizons de la croisade teutonique et chrétienne, il semblait que Mme de Krüdner revenait par instinct à ses origines naturelles.

Un grand poète, Le Tasse, sujet à l’illusion comme Mme de Krüdner et idéalement touchant comme elle, dut, ce me semble, offrir à sa pensée, dans le tableau qu’elle essaya, quelques tons de la même harmonie, et je me figure que cette Othilde pouvait être écrite et conçue dans la couleur de Clorinde baptisée.

Mme de Krüdner passa ces années de transition à parcourir l’Allemagne, tantôt à Bade, avec des retours de monde, tantôt visitant des frères moraves, tantôt écoutant, à Carlsruhe, l’illuminé Jung Stilling et prêchant avec lui les pauvres. Elle travaillait à s’élever, à se détacher de plus en plus, suivant son nouveau langage, des pensées des hommes du torrent ; mais elle changea moins qu’elle ne le crut. Si l’on a pu dire de la conversion de quelques ames tendres à Dieu : C’est de l’amour encore ; il semble que le mot aurait dû être trouvé tout exprès pour elle. Elle portait dans ses nouvelles voies et dans cette royale route de l’ame, comme elle disait d’après Platon, toute la sensibilité et l’imagination affectueuse de sa première habitude, et comme la séduction de sa première manière. L’inépuisable besoin de plaire s’était changé en un immense besoin d’aimer, ou même s’y continuait toujours.

Les évènemens de 1813 achevèrent d’éclairer, de dessiner la mission que Mme de Krüdner se figurait avoir reçue, et ce mouvement de l’Allemagne régénérée, qui produisait tant de guerriers enthousiastes, de poètes nationaux, de pamphlétaires éloquens, l’amena aussi à son rang, elle, la Velléda évangélique, la prophétesse du Nord. Outre le caractère religieux qu’elle revêt et qui la distingue, ce qu’a de particulier le rôle de Mme de Krüdner entre tous les enthousiasmes teutoniques d’alors, c’est qu’elle s’appuie plutôt sur l’extrême