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LES MAÎTRES MOSAÏSTES.

Une tendre et inaltérable amitié unissait les deux frères ; ils réussirent à vaincre la feinte résistance du vieux Zuccato, et, faisant dresser deux échelles latérales près de celle où il se risqua, ils le soutinrent et l’enlevèrent presque jusqu’au dernier étage de leurs échafauds. Le Tintoret, déjà vieux, mais encore ferme et habitué à faire son atelier des vastes coupoles de la basilique, les y suivit afin d’être témoin de la surprise de Sébastien.

Le sentiment de terreur religieuse que le vieillard avait éprouvée d’abord, fit place à un ravissement involontaire, lorsque, parvenu au niveau des grandes figures d’évangélistes et de prophètes qui occupaient les premiers plans, il vit toutes les parties presque terminées de cette vaste et merveilleuse composition. Ici le transito de la Vierge, traité d’après le Salviati, plus loin la résurrection de Lazare, scène effrayante, où le cadavre, revêtu des tons clairs du linceul, semble flotter avec incertitude sur le fond brillant de la muraille ; le saint Marc du Titien, personnage grandiose, qui est porté par le croissant de la lune, comme par une nacelle, et semble enlevé dans les cieux resplendissans par un mouvement d’ascension appréciable à la vue ; le grand feston du cintre soutenu par de beaux enfans ailés, et, au-dessus de ces nombreux chefs-d’œuvre, la vision de saint Jean où les damnés sont précipités dans les enfers, tandis que les élus du Seigneur, vêtus de blanc et montés sur de blancs coursiers, se perdent dans l’éclat adouci et dans le rayonnement vague de la coupole, comme une nuée de cygnes dans la vapeur embrasée du matin.

Zuccato essaya bien encore de lutter contre l’admiration qu’il éprouvait, en attribuant l’effet de son saisissement à la magie de la lumière jouant sur les objets, à la situation favorable et à la dimension imposante des figures. Mais quand le Tintoret le contraignit à s’approcher du feston, afin d’en apprécier les détails, il fut forcé d’avouer qu’il n’aurait jamais cru l’art de la mosaïque susceptible d’une telle perfection, et que les angelots voltigeant parmi ces guirlandes pouvaient rivaliser, pour la couleur et pour la forme, avec la peinture des plus grands maîtres.

Mais toujours avare de louanges et rebelle à sa secrète satisfaction, le vieillard prétendit que ce n’était là qu’un mérite d’exactitude et un travail de patience. Tout l’honneur, dit-il, revient au maître qui a tracé les modèles de ces groupes et dessiné le détail de ces ornemens.

— Mon père, repartit Francesco avec une fierté modeste, si vous