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un soin patient. Décidé à ne placer, sur la partie droite du fronton, que des héros anonymes, il devait leur attribuer toute la noblesse, toute l’élégance, toute la vigueur dont l’imagination se plaît à douer les guerriers enthousiastes. Personne, je crois, n’osera contester à M. David le mérite d’avoir accompli rigoureusement la condition qu’il s’était imposée. Son grenadier prendra rang parmi les plus beaux ouvrages de la statuaire moderne.

Le tambour d’Arcole, placé au premier plan comme le grenadier, a été pour M. David l’occasion d’un nouveau triomphe. La tête de cet enfant respire une pieuse ardeur. Il est fier d’avoir, par son dévouement, assuré la victoire à l’armée française, et il se présente hardiment pour recevoir des mains de la Patrie la couronne acquise aux belles actions. Cette figure ne se recommande pas seulement par la pureté de l’expression, mais bien aussi par la jeunesse et la simplicité des plans du visage. Le tambour d’Arcole n’a pas plus de quinze ans, et l’on sait combien il est difficile de reproduire un modèle de cet âge. La forme n’est pas encore nettement accusée ; en essayant de lutter avec la nature, le ciseau court le danger d’arrondir les chairs et d’effacer la vie. M. David a su éviter cet écueil, et conserver cependant la jeunesse de son modèle. L’attitude de cette figure est bien ce qu’elle devait être, animée, ardente, déduite logiquement de l’expression de la tête. La quatrième classe de l’Institut, à laquelle M. David appartient, mais dont il est loin de suivre les doctrines, ne manquera certainement pas de réprouver le tambour d’Arcole comme indigne de la statuaire ; il se trouvera parmi les professeurs des Petits-Augustins des esprits assez judicieux pour affirmer que le ciseau déroge en traitant de pareils sujets, et que le tambour d’Arcole est et sera toujours la propriété exclusive de la lithographie. Il est facile de prévoir le rire dédaigneux avec lequel les défenseurs aveugles de la tradition accueilleront cette figure plébéienne ; mais il est probable que ni la foule, ni les hommes éclairés, ne partageront l’avis de l’Académie. M. David, ayant à traiter un sujet moderne, a bien fait d’accepter toutes les conditions du programme qu’il s’était tracé. D’ailleurs il a prouvé, dans son tambour comme dans son grenadier, que le ciseau d’un artiste éminent ennoblit tout ce qu’il touche. Ce qui eût été pour un statuaire médiocre l’occasion d’une défaite a été pour lui l’occasion d’une lutte glorieuse avec la réalité. La tête seule du tambour d’Arcole, par la finesse et la simplicité du modelé, suffirait à fonder la renommée d’un