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LE FRONTON DU PANTHÉON.

tel qu’il était à l’époque de ses premières aventures, de ses innocentes amours. Jean-Jacques avait quarante ans quand il écrivit sa première page, et le Jean-Jacques de M. David n’a pas plus de vingt-cinq ans. Quoique la tête que M. David lui a donnée soit très belle, je l’eusse mieux aimée ayant vingt ans de plus. La tête de Voltaire est également rajeunie de quelques années ; cependant la saillie des pommettes est franchement accusée, les joues sont creusées par un sillon vertical, et le Voltaire de Houdon ne peut lutter, par la pénétration et la vivacité du regard, avec le Voltaire de M. David. L’auteur des Sabines est d’une grande ressemblance. Le sculpteur, sans se résoudre à nous présenter le côté difforme de la tête, n’a pourtant pas négligé d’indiquer la grimace des lèvres. George Cuvier n’était qu’un jeu pour M. David, qui, depuis long-temps, s’était familiarisé avec la tête de l’illustre naturaliste. Nous avons retrouvé dans le portrait du fronton, comme dans le buste du même auteur, l’intelligence, la sérénité, et en même temps l’absence complète de volonté. Il est permis, sans doute, de ne pas accepter littéralement les doctrines de Lavater ou de Gall ; mais un esprit habitué à juger les hommes, ne peut confondre la physionomie volontaire et la physionomie intelligente. Certes, la tête de Cuvier, livrée à la sagacité d’un homme qui ne le connaîtrait pas, ne sera jamais prise pour celle d’un capitaine ou d’un orateur habitué aux luttes de la tribune. Le portrait de Cuvier est digne d’étude et d’admiration. La tête de Lafayette est tout ce qu’elle pouvait être, pleine de douceur, de bonhomie, de probité ; mais la forme conique de la partie supérieure s’oppose impérieusement à ce que la tête soit belle. Toutefois, je préfère ce portrait au buste que l’auteur a fait du même modèle.

L’attitude que M. David a donnée à Manuel manque de naturel. Il n’est pas vraisemblable que l’orateur, pour recevoir de la patrie la couronne méritée par sa courageuse éloquence, se drape dans son manteau ; plus simplement posé, il serait plus grand. La tête exprime nettement l’énergique volonté à laquelle Manuel a dû la meilleure partie de son talent. Quoiqu’elle rayonne d’intelligence, elle signifie plutôt la hardiesse du caractère que la profondeur de la pensée. Carnot et Berthollet se distinguent également par la noblesse des lignes et la fermeté du modelé. Laplace, comme George Cuvier, est un chef-d’œuvre de finesse et de précision. Il est impossible de traduire plus clairement, avec plus d’élégance et de simplicité, l’intelligence arrivée aux dernières limites de son développement, suffisant seule à remplir toute la vie, et ne laissant place ni aux passions, ni à