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POLITIQUE D’ARISTOTE.

verné : parmi ceux-ci, les uns n’ont fait que des lois, les autres ont fondé aussi des gouvernemens[1]. »

Pour les Grecs, l’esprit était donc le meilleur architecte des sociétés, et le génie philosophique leur paraissait naturellement appelé à l’administration des états. Avec quel soin, dans les derniers jours de l’antiquité, Élien ne rassemble-t-il pas les noms des philosophes qui eurent une vie politique ! Entre les premiers, dit-il[2], sont Zaleucus et Charondas, qui réformèrent, l’un, le gouvernement des Locriens, l’autre, d’abord celui des Catanéens, puis, quand il eut été banni de Catane, celui des habitans de Rhegium ; Archytas servit utilement les Tarentins ; les Athéniens durent tout à Solon ; Bias et Thalès rendirent de grands services à l’Ionie, Chilon à Lacédémone, Pittacus à Mitylène, Cléobule à Rhodes ; Anaximandre fut chargé de conduire la colonie que les Milésiens envoyèrent à Apollonie ; Platon fit rentrer Dion en Sicile ; Socrate refusa courageusement de s’associer aux crimes des trente tyrans. Niera-t-on que Périclès, fils de Xantippe, Épaminondas, Phocion, Aristide, Éphialte, fussent de vrais philosophes ? Que dirons-nous de Carnéade et de Critolaüs, qui vinrent long-temps après ? Leur ambassade à Rome, où ils avaient été envoyés par les Athéniens, sauva la république ; ils surent si bien disposer le sénat en leur faveur, que les sénateurs disaient : « Les Athéniens nous ont envoyé des ambassadeurs, non pour nous porter à faire ce qu’ils désirent, mais pour nous y forcer. » C’est ainsi qu’Élien, qui vivait au temps d’Héliogabale et d’Alexandre Sévère, c’est-à-dire après l’éclipse totale du génie philosophique et politique du polythéisme, se consolait à Rome, dont il sortit peu, en rassemblant dans ses écrits les glorieux souvenirs de l’intelligence grecque.

Aristote s’est proposé dans sa Politique d’appliquer les vues de l’esprit au bonheur des sociétés. Observant les faits sociaux avec la même sagacité que les phénomènes de la nature, il estime que la politique ne fait pas les hommes, mais les prend tels que la nature les lui donne[3]  ; non que, dans son goût pour la réalité, il se refuse aux innovations nécessaires. « L’innovation, dit-il[4], a profité à toutes les sciences, à la médecine, qui a secoué ses vieilles pratiques, à la gymnastique, et généralement à tous les arts où s’excercent les facultés humaines, et comme la politique aussi doit prendre rang parmi

  1. Politique d’Aristote, liv. II, chap. IX, pag. 197.
  2. Élien, liv. iii, chap. xvii.
  3. Politique, liv. Ier, pag. 59.
  4. Ibid., liv. ii, chap. v, pag. 153, 453.