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REVUE DES DEUX MONDES.
rappeler le sort d’un malheureux enfant, et cependant, au fond d’une cellule, un moine ignoré du monde dénonce ton forfait à la postérité, et tu n’échapperas, crois-moi, ni au jugement des hommes ni au tribunal de Dieu.


AUTRE SCÈNE.
(Il fait nuit : la scène se passe dans un jardin.)
Grégoire ou le faux Démétrius, bientôt après Marina.
Grégoire. — Voici la fontaine, lieu du rendez-vous ; elle va s’y rendre… Je ne suis pas né timide, ce me semble, j’ai vu la mort de près, et je l’ai vue sans pâlir ; menacé d’une prison perpétuelle, serré de près par mes ennemis, je ne perdis pas courage, et grace au ciel je suis libre. D’où vient donc que ma poitrine est oppressée ? que signifie ce trouble insurmontable ? est-ce l’agitation de l’attente ? le frisson du désir ? Non, c’est de la peur… L’idée de cette redoutable entrevue m’a poursuivi tout le jour : paroles d’amour et d’ambition, j’avais tout préparé, je ne me rappelle plus rien… Mais je crois entendre des pas… Non, tout se tait, c’est le vent du soir qui s’élève ; c’est un rayon de la lune qui se joue à travers le feuillage.
Marina. — Prince ?
Grégoire. — La voilà ! Tout mon sang s’est arrêté dans mes veines.
Marina. — Démétrius ?
Grégoire. — Voix céleste et ravissante ! C’est vous, vous enfin seule avec moi, seule, enveloppée d’ombre et de mystère ! Oh ! que le jour m’a paru long, que la nuit était lente à venir !
Marina. — Elle sera plus rapide encore à s’écouler ; les instans sont précieux, et ce n’est pas pour écouter les tendres discours d’un amant que je vous ai donné rendez-vous. Vous m’aimez, je le crois ; mais, si j’ai juré de partager votre destinée, tout orageuse et incertaine qu’elle est, j’ai droit de vous demander une chose, Démétrius, c’est de m’initier à toutes vos espérances, à tous vos projets, à tous vos périls ; car je veux entrer dans la carrière où nous devons marcher ensemble, non comme une jeune fille ignorante et crédule, non comme une esclave dévouée aux plaisirs et aux ordres d’un maître, mais comme une épouse digne de vous, digne du tzar de Moscovie.
Grégoire. — Laissez-moi, Marina, laissez-moi oublier un instant les craintes et les dangers qui m’assiégent ; oubliez qui je suis, et ne voyez plus dans Démétrius que l’amant fier de votre choix, et qui, pour être heureux, ne vous demande qu’un mot, un sourire, un regard. Oh ! laissez-moi vous dire tout ce dont mon cœur est plein…
Marina. — Non, prince, nous n’avons que faire de paroles oiseuses ; vos lenteurs, vos hésitations refroidissent l’ardeur de vos partisans, accroissent les périls, multiplient les obstacles ; déjà l’on sème des doutes, des soupçons,