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SUR LE JUGEMENT DERNIER.

tent là étendus et comme étonnés d’eux-mêmes. Plus loin, la barque vengeresse emporte la foule des réprouvés. Caron se tient là, battant de son aviron les ames paresseuses — Qualunque s’adagia. Rien n’égale la malice et la férocité de ses deux yeux de braise, comme dit le poète. Une espèce de satyre horrible emporte sur ses épaules un de ces damnés, en enfonçant ses dents crochues dans l’une de ses jambes. Les démons percent de leurs crocs le dos et la tête des misérables, les entraînent sur le bord maudit, où d’autres viennent se précipiter d’eux-mêmes et comme poussés par une invisible main. On voit, dans l’ombre, des dents serrées par l’affreux désespoir, des yeux ardens qui s’élèvent en l’air pour maudire l’Être éternel et l’heure de sa justice. De misérables désespérés portent à leur tête, devant leurs oreilles, devant leurs yeux, leurs mains tremblantes, comme pour se cacher l’horreur de l’inévitable vengeance. On ne peut se figurer, sans l’avoir vue, la prodigieuse variété de ces types de démons, de larves, de suppôts de l’enfer, acharnés sur ces damnés, qui sont leur proie pour l’éternité. Rien de plus noble aussi et de plus varié que les attitudes des anges qui forment le groupe placé au-dessous du Christ, et qui embouchent les trompettes fatales. Deux d’entre eux portent chacun un livre dans leurs mains ; l’un de ces livres est la liste des élus. Il est étroit ; il tient entre les doigts de l’ange, qui semble appeler avec complaisance ce petit nombre de justes sauvés à peine au milieu des innombrables rejetons du premier homme. L’autre livre contient les noms des réprouvés ; liste énorme, liste fatale, et dont la colère céleste ne doit rien retrancher.

Autour du Christ sont les ames heureuses. Du côté de la Madone sont les saintes femmes, les vierges, les mères chrétiennes et martyres ; de l’autre côté, les saints, les patriarches, Adam notre premier père assistant à la destruction de cette déplorable race issue de lui. Les confesseurs, les martyrs de la foi se rapprochent du juge et lui montrent les instrumens des supplices qui n’ont pu ébranler leur constance. Quelques-uns semblent contempler avec joie les contorsions de leurs ennemis précipités dans les flammes de l’enfer. En leur faisant étendre vers ces malheureux les rateaux qui ont déchiré leur chair, les roues et les gibets qu’ils ont teints de leur sang, mais surtout en mettant dans leurs yeux un air de satisfaction et de triomphe, Michel-Ange se montre bien l’homme de son siècle, c’est-à-dire le chrétien farouche qui fait de sa vengeance une vertu.

Parmi ces ames fortunées qui s’élèvent jusqu’au sommet de la composition et semblent faire autour du Christ comme une céleste