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premier bourreau, comment elle devait se comporter. Il lui dit de se placer à cheval sur la planche du ceps. Mais ce mouvement lui parut offensant pour la pudeur, et elle mit beaucoup de temps à le faire. (Les détails qui suivent sont tolérables pour le public italien, qui tient à savoir toutes choses avec la dernière exactitude ; qu’il suffise au lecteur français de savoir que la pudeur de cette pauvre femme fit qu’elle se blessa à la poitrine ; le bourreau montra la tête au peuple et ensuite l’enveloppa dans le voile de taffetas noir.)

Pendant qu’on mettait en ordre la mannaja pour la jeune fille, un échafaud chargé de curieux tomba, et beaucoup de gens furent tués Ils parurent ainsi devant Dieu avant Béatrix.

Quand Béatrix vit la bannière revenir vers la chapelle pour la prendre, elle dit avec vivacité.

— Madame ma mère est-elle bien morte ?

On lui répondit que oui ; elle se jeta à genoux devant le crucifix, et pria avec ferveur pour son ame. Ensuite elle parla haut et pendant long-temps au crucifix,

— Seigneur, tu es retourné pour moi, et moi je te suivrai de bonne volonté, ne désespérant pas de ta miséricorde pour mon énorme péché, etc. Elle récita ensuite plusieurs psaumes et oraisons toujours à la louange de Dieu. Quand enfin le bourreau parut devant elle avec une corde, elle dit :

— « Lie ce corps qui doit être châtié, et délie cette ame qui doit arriver à l’immortalité et à une gloire éternelle. » Alors elle se leva, fit la prière, laissa ses mules au bas de l’escalier, et montée sur l’échafaud, elle passa lestement la jambe sur la planche, posa le cou sous la mannaja, et s’arrangea parfaitement bien elle-même pour éviter d’être touchée par le bourreau. Par la rapidité de ses mouvemens, elle évita qu’au moment où son voile de taffetas lui fut ôté, le public aperçût ses épaules et sa poitrine. Le coup fut long-temps à être donné, parce qu’il survint un embarras. Pendant ce temps, elle invoquait à haute voix le nom de Jésus-Christ et de la très sainte Vierge[1]. Le corps fit un grand mouvement au moment fatal. Le pauvre Bernard Cenci, qui était toujours resté assis sur l’échafaud,

  1. Un auteur contemporain raconte que Clément VIII était fort inquiet pour le salut de l’ame de Béatrix ; comme il savait qu’elle se trouvait injustement condamnée, il craignait un mouvement d’impatience. Au moment où elle eut placé la tête sur la mannaja, le fort saint Ange, d’où la mannaja se voyait fort bien, tira un coup de canon. Le pape, qui était en prières à Monte-Cavallo, attendant ce signal, donna aussitôt à la jeune fille l’absolution papale majeure, in articulo mortis. De là le retard dans ce cruel moment dont parle le chroniqueur.