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EMMELINE.

chiffonner. Comme ce papier, tout chiffonné qu’il était, avait pourtant un air de lettre, il s’attendait qu’on le remarquerait ; quelqu’un le remarqua en effet, mais ce ne fut pas Emmeline. Il le remit dans sa poche, puis l’en tira de nouveau ; enfin la comtesse y jeta les yeux et lui demanda ce qu’il tenait : « Ce sont, lui dit-il, des vers de ma façon que j’ai faits pour une belle dame, et je vous les montrerai, si vous me promettez que dans le cas où vous devineriez qui c’est, vous ne me nuirez pas dans son esprit. »

Emmeline prit le papier et lut les stances suivantes :


À NINON.


Si je vous le disais, pourtant, que je vous aime,
Qui sait, brune aux yeux bleus, ce que vous en diriez ?
L’amour, vous le savez, cause une peine extrême ;
C’est un mal sans pitié que vous plaignez vous-même ;
Peut-être cependant que vous m’en puniriez.

Si je vous le disais, que six mois de silence
Cachent de longs tourmens et des vœux insensés. —
Ninon, vous êtes fine, et votre insouciance
Se plaît, comme une fée, à deviner d’avance. —
Vous me répondriez peut-être : Je le sais.

Si je vous le disais, qu’une douce folie
A fait de moi votre ombre, et m’attache à vos pas, —
Un petit air de doute et de mélancolie,
Vous le savez, Ninon, vous rend bien plus jolie ; —
Peut-être diriez-vous que vous n’y croyez pas.

Si je vous le disais, que j’emporte dans l’ame
Jusques aux moindres mots de nos propos du soir. —
Un regard offensé, vous le savez, madame,
Change deux yeux d’azur en deux éclairs de flamme ; —
Vous me défendriez peut-être de vous voir.

Si je vous le disais, que chaque nuit je veille,
Que chaque jour je pleure et je prie à genoux. —
Ninon, quand vous riez vous savez qu’une abeille
Prendrait pour une fleur votre bouche vermeille ; —
Si je vous le disais, peut-être en ririez-vous.

Mais vous n’en saurez rien ; – je viens, sans en rien dire,
M’asseoir sous votre lampe et causer avec vous ; –