Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/321

Cette page a été validée par deux contributeurs.
317
EMMELINE.

sentée la veille, si l’un d’eux en disait son avis, l’autre approuvait d’un signe de tête. À une anecdote, il leur arrivait de rire au même endroit ; et le récit touchant d’une belle action leur faisait détourner les regards en même temps, de peur de trahir l’émotion trop vive. Pour tout exprimer par un bon vieux mot, il y avait entre eux sympathie. Mais, direz-vous, c’est de l’amour ; patience, madame, pas encore.

Gilbert allait souvent aux Bouffes, et passait quelquefois un acte dans la loge de la comtesse. Le hasard fit qu’un de ces jours-là on donnât encore Don Juan. M. de Marsan y était. Emmeline, lorsque vint le trio, ne put s’empêcher de regarder à côté d’elle et de se souvenir de son mouchoir ; c’était, cette fois, le tour de Gilbert de rêver au son des basses et de la mélancolique harmonie ; toute son ame était sur les lèvres de Mlle Sontag, et qui n’eût pas senti comme lui aurait pu le croire amoureux fou de la charmante cantatrice ; les yeux du jeune homme étincelaient. Sur son visage un peu pâle, ombragé de longs cheveux noirs, on lisait le plaisir qu’il éprouvait ; ses lèvres étaient entrouvertes, et sa main tremblante frappait légèrement la mesure sur le velours de la balustrade. Emmeline sourit ; et en ce moment, je suis forcé de l’avouer, en ce moment, assis au fond de la loge, le comte dormait profondément.

Tant d’obstacles s’opposent ici-bas à des hasards de cette espèce, que ce ne sont que des rencontres ; mais, par cela même, ils frappent davantage, et laissent un plus long souvenir. Gilbert ne se douta même pas de la pensée secrète d’Emmeline et de la comparaison qu’elle avait pu faire. Il y avait pourtant de certains jours où il se demandait au fond du cœur si la comtesse était heureuse ; en se le demandant, il ne le croyait pas ; mais dès qu’il y pensait, il n’en savait plus rien. Voyant à peu près les mêmes gens, et vivant dans le même monde, ils avaient tous deux nécessairement mille occasions de s’écrire pour des motifs légers ; ces billets indifférens, soumis aux lois de la cérémonie, trouvaient toujours moyen de renfermer un mot, une pensée, qui donnaient à rêver. Gilbert restait souvent une matinée avec une lettre de Mme de Marsan ouverte sur la table ; et malgré lui, de temps en temps, il y jetait les yeux. Son imagination excitée lui faisait chercher un sens particulier aux choses les plus insignifiantes. Emmeline signait quelquefois en italien : « Vostrissima ; » et il avait beau n’y voir qu’une formule amicale, il se répétait que ce mot voulait pourtant dire : Toute à vous.

Sans être homme à bonnes fortunes comme M. de Sorgues,