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bien que nous nous préparions, que nous prenions ces autres habits, et que nous nous rendions pour la dernière fois le service réciproque de nous habiller.

On avait dressé sur la place du pont Saint-Ange un grand échafaud avec un ceps et une mannaja (sorte de guillotine). Sur les treize heures (à huit heures du matin), la compagnie de la Miséricorde apporta son grand crucifix à la porte de la prison. Giacomo Cenci sortit le premier de la prison ; il se mit à genoux dévotement sur le seuil de la porte, fit sa prière, et baisa les saintes plaies du crucifix. Il était suivi de Bernard Cenci, son jeune frère, qui, lui aussi, avait les mains liées et une petite planche devant les yeux. La foule était énorme, et il y eut du tumulte à cause d’un vase qui tomba d’une fenêtre, presque sur la tête d’un des pénitens, qui tenait une torche allumée à côté de la bannière.

Tous regardaient les deux frères, lorsqu’à l’improviste s’avança le fiscal de Rome qui dit :

— « Signor Bernardo, notre seigneur vous fait grace de la vie ; soumettez-vous à accompagner vos parens, et priez Dieu pour eux. »

À l’instant ses deux confortatori lui ôtèrent la petite planche qui était devant ses yeux. Le bourreau arrangeait sur la charrette Giacomo Cenci, et lui avait ôté son habit afin de pouvoir le tenailler. Quand le bourreau vint à Bernard, il vérifia la signature de la grace, le délia, lui ôta les menottes, et comme il était sans habit devant être tenaillé, le bourreau le mit sur la charrette et l’enveloppa du riche manteau de drap galonné d’or (on a dit que c’était le même qui fut donné par Béatrix à Marzio après l’action dans la forteresse de Petrella). La foule immense qui était dans la rue, aux fenêtres et sur les toits, s’émut tout à coup ; on entendait un bruit sourd et profond, on commençait à dire que cet enfant avait sa grace.

Les chants des psaumes commencèrent, et la procession s’achemina lentement par la place Navonne vers la prison Savella. Arrivée à la porte de la prison, la bannière s’arrêta, les deux femmes sortirent, firent leur adoration aux pieds du saint crucifix, et ensuite s’acheminèrent à pied l’une à la suite de l’autre. Elles étaient vêtues ainsi qu’il a été dit, la tête couverte d’un grand voile de taffetas qui arrivait presque jusqu’à la ceinture.

La signora Lucrèce, en sa qualité de veuve, portait un voile noir, et des mules de velours noir sans talons, selon l’usage.

Le voile de la jeune fille était de taffetas bleu, comme sa robe ; elle avait de plus un grand voile de drap d’argent sur les épaules,