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LES CENCI.

cruelle tragédie. Cependant toutes les copies nécessaires de la sentence de mort ne purent être terminées qu’à cinq heures du matin, de façon que ce ne fut qu’à six heures que l’on put aller annoncer la fatale nouvelle à ces pauvres malheureux qui dormaient tranquillement.

La jeune fille, dans les premiers momens, ne pouvait même trouver des forces pour s’habiller. Elle jetait des cris perçans et continuels, et se livrait sans retenue au plus affreux désespoir. « Comment est-il possible, ah ! Dieu, s’écriait-elle, qu’ainsi à l’improviste je doive mourir ? »

Lucrèce Petroni, au contraire, ne dit rien que de fort convenable ; d’abord elle pria à genoux, puis exhorta tranquillement sa fille à venir avec elle à la chapelle, où elles devaient toutes deux se préparer à ce grand passage de la vie à la mort.

Ce mot rendit toute sa tranquillité à Béatrix ; autant elle avait montré d’extravagance et d’emportement d’abord, autant elle fut sage et raisonnable dès que sa belle-mère eut rappelé cette grande ame à elle-même. Dès ce moment, elle a été un miroir de constance que Rome entière a admiré.

Elle a demandé un notaire pour faire son testament, ce qui lui a été accordé. Elle a prescrit que son corps fût porté à Saint-Pierre in Montorio ; elle a laissé 300,000 francs aux Stimâte (religieuses des stigmates de Saint-François) ; cette somme doit servir à doter cinquante pauvres filles. Cet exemple a ému la signora Lucrèce, qui, elle aussi, a fait son testament et ordonné que son corps fût porté à Saint-George ; elle a laissé 500,000 francs d’aumône à cette église et fait d’autres legs pieux.

À huit heures elles se confessèrent, entendirent la messe, et reçurent la sainte communion. Mais avant d’aller à la messe, la signora Béatrix considéra qu’il n’était pas convenable de paraître sur l’échafaud, aux yeux de tout le peuple, avec les riches habillemens qu’elles portaient. Elle ordonna deux robes, l’une pour elle ; l’autre pour sa mère. Ces robes furent faites comme celles des religieuses, sans ornemens à la poitrine et aux épaules, et seulement plissées avec des manches larges. La robe de la belle-mère fut de toile de coton noir ; celle de la jeune fille de taffetas bleu avec une grosse corde qui ceignait la ceinture.

Lorsqu’on apporta les robes, la signora Béatrix, qui était à genoux, se leva et dit à la signora Lucrèce :

— Madame ma mère, l’heure de notre passion approche ; il sera