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EMMELINE.

bien-être matériel étaient classés par elle dans une catégorie de maniaques. Toujours nu-tête, les cheveux en désordre, narguant le vent, le soleil, jamais plus contente que lorsqu’elle rentrait mouillée par la pluie, elle se livrait, à la campagne, à tous les exercices violens, comme si là eût été toute sa vie. Sept ou huit lieues à cheval, au galop, étaient un jeu pour elle ; à pied, elle défiait tout le monde ; elle courait, grimpait aux arbres, et si on ne marchait pas sur les parapets plutôt que sur les quais, si on ne descendait pas les escaliers sur leurs rampes, elle pensait que c’était par respect humain. Par-dessus tout elle aimait, chez sa mère, à s’échapper seule, à regarder dans la campagne et ne voir personne. Ce goût d’enfant pour la solitude, et le plaisir qu’elle prenait à sortir par des temps affreux, tenaient, disait-elle, à ce qu’elle était sûre qu’alors on ne viendrait pas la chercher en se promenant. Toujours entraînée par cette bizarre idée, à ses risques et périls, elle se mettait dans un bateau en pleine eau, et sortait ainsi du parc, que la rivière traversait, sans se demander où elle aborderait. Comment lui laissait-on courir tant de dangers ? Je ne me chargerai pas de vous l’expliquer.

Au milieu de ces folies, Emmeline était railleuse ; elle avait un oncle tout rond, avec un rire bête, excellent homme. Elle lui avait persuadé que de figure et d’esprit elle était tout son portrait, et cela avec des raisons à faire rire un mort. De là le digne oncle avait conçu pour sa nièce une tendresse sans bornes. Elle jouait avec lui comme avec un enfant, lui sautait au cou quand il arrivait, lui grimpait sur les épaules ; et jusqu’à quel âge ? c’est ce que je ne vous dirai pas non plus. Le plus grand amusement de la petite espiègle était de faire faire à ce personnage, assez grave du reste, des lectures à haute voix ; c’était difficile, attendu qu’il trouvait que les livres n’avaient aucun sens, et cela s’expliquait par sa façon de ponctuer ; il respirait au milieu des phrases, n’ayant pour guide que la mesure de son souffle. Vous jugez quel galimatias, et l’envie de rire à se pâmer. Je suis obligé d’ajouter qu’au théâtre, elle en faisait autant pendant les tragédies, mais qu’elle trouvait quelquefois moyen d’être émue aux comédies les plus gaies.

Pardonnez, madame, ces détails puérils, qui, après tout, ne peignent qu’un enfant gâté. Il faut que vous compreniez qu’un pareil caractère devait plus tard agir à sa façon, et non à celle de tout le monde.

À seize ans, l’oncle en question, allant en Suisse, emmena Emmeline. À l’aspect des montagnes, on crut qu’elle perdait la raison,