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l’arrêter. Le pape se rappela le fratricide des Massimi commis peu de temps auparavant. Désolée de la fréquence de ces assassinats commis sur de proches parens, sa sainteté ne crut pas qu’il lui fût permis de pardonner. En recevant ce fatal rapport sur Santa-Croce, le pape se trouvait au palais de Montecavallo, où il était allé le 6 septembre, pour être plus voisin, la matinée suivante, de l’église de Sainte-Marie-des-Anges, où il devait consacrer comme évêque un cardinal allemand.

Le vendredi à 22 heures (4 heures du soir), il fit appeler Ferrante Taverna[1], gouverneur de Rome, et lui dit ces propres paroles :

Nous vous remettons l’affaire des Cenci, afin que justice soit faite par vos soins et sans nul délai.

Le gouverneur revint à son palais fort touché de l’ordre qu’il venait de recevoir ; il expédia aussitôt la sentence de mort, et rassembla une congrégation pour délibérer sur le mode d’exécution.

Samedi matin, 11 septembre 1599, les premiers seigneurs de Rome, membres de la confrérie des confortatori, se rendirent aux deux prisons, à Corte-Savella où étaient Béatrix et sa belle-mère, et à Tordinona où se trouvaient Jacques et Bernard Cenci. Pendant toute la nuit du vendredi au samedi, les seigneurs romains qui avaient su ce qui se passait, ne firent autre chose que courir du palais de Montecavallo à ceux des principaux cardinaux, afin d’obtenir au moins que les femmes fussent mises à mort dans l’intérieur de la prison, et non sur un infâme échafaud ; et que l’on fît grace au jeune Bernard Cenci, qui, à peine âgé de quinze ans, n’avait pu être admis à aucune confidence. Le noble cardinal Sforza, s’est surtout distingué par son zèle dans le cours de cette nuit fatale, mais quoique prince si puissant, il n’a pu rien obtenir. Le crime de Santa-Croce était un crime vil, commis pour avoir de l’argent, et le crime de Béatrix fut commis pour sauver l’honneur.

Pendant que les cardinaux les plus puissans faisaient tant de pas inutiles, Farinacci, notre grand jurisconsulte, a bien eu l’audace de pénétrer jusqu’au pape ; arrivé devant sa sainteté, cet homme étonnant a eu l’adresse d’intéresser sa conscience, et enfin il a arraché à force d’importunités la vie de Bernard Cenci.

Lorsque le pape prononça ce grand mot, il pouvait être quatre heures du matin (du samedi 11 septembre). Toute la nuit on avait travaillé sur la place du pont Saint-Ange aux préparatifs de cette

  1. Depuis cardinal pour une singulière cause. (Note du manuscrit).