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Du collége d’Amiens, le jeune professeur fut rappelé comme agrégé à Paris, et nommé pour faire la classe de troisième au collége de La Marche ; il y était encore lors de sa réception à l’Académie, en 1774. Mais la disproportion entre cette gloire si littéraire, si mondaine, et ces thèmes, qu’il dictait encore, devenait trop criante, et l’amitié de M. Le Beau, professeur d’éloquence latine au Collége de France, l’appela à professer, comme suppléant d’abord, la poésie qui était comprise dans cette chaire.

La traduction des Géorgiques parut à la fin de l’année 1769 ; elle était annoncée à l’avance par de nombreuses lectures dans les salons, que fréquentait déjà beaucoup Delille. Le succès alla aux nues. C’était la mode de la nature ; on adorait la campagne du sein des boudoirs. Les Géorgiques furent sur les toilettes comme un volume de l’Encyclopédie ou comme le livre de l’Esprit ; on crut lire Virgile. Le grand Frédéric déclara cette traduction une œuvre originale. Voltaire s’éprit de Virgilius-Delille (il était fort en sobriquets), et écrivit à l’Académie française pour l’y pousser (4 mars 1772) : « Rempli de la lecture des Géorgiques de M. Delille, je sens tout le prix de la difficulté si heureusement surmontée, et je pense qu’on ne pouvait faire plus d’honneur à Virgile et à la nation. Le poème des Saisons et la traduction des Géorgiques me paraissent les deux meilleurs poèmes qui aient honoré la France après l’Art poétique… » La Harpe, dans le Mercure, célébra tout d’abord la traduction ; Fréron, dans l’Année littéraire, ne l’attaqua point ; s’il la trouva infidèle souvent, comme reproduction du modèle, il convint qu’il était difficile de mieux tourner un vers, et ne craignit pas d’y reconnaître le faire de Boileau. Clément de Dijon seul, Clément l’inclément, comme dit Voltaire, avec son volume d’Observations critiques (1771), que suivit bientôt un second volume de nouvelles Observations (1772), vint troubler le succès du traducteur des Géorgiques et du poète des Saisons. Saint-Lambert eut le crédit et le tort d’obtenir un ordre pour faire conduire Clément au For-l’Évêque, et pour faire saisir l’édition (encore sous presse) de sa critique. Le prétexte était que Clément disait sur Doris certains mots, lesquels on aurait pu appliquer à Mme d’Houdetot. On fit des cartons à ces endroits, le livre parut, et tout le monde lut Clément.

Il disait de bonnes choses, et tout ce qui se peut dire de judicieux de la part d’un homme sérieux, instruit de l’antiquité, amateur du goût solide, mais que le rayon poétique direct n’éclaire pas. Où se trouvait alors, est-il vrai de dire, ce rayon, ce sentiment du style