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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

lamment chaperonné de la sorte, n’eut qu’un moment. Boileau régna, mais à la façon sérieuse de Malherbe, et on ne peut dire que ce fut un prince des poètes ; c’en fut plutôt l’oracle et le conseil. Les grands poètes du règne de Louis XIV et leur gloire solide se prêtaient mal à la gentillesse de rôle que suppose ce titre raffiné. La Fontaine seul y aurait donné, je crois bien, par nonchaloir, par complaisance pour les Iris et les Clymènes, si on l’avait laissé faire. Fontenelle eut, comme Voiture, chez les caillettes de bonne maison, un vif et assez long règne de bergerie en tapinois dans les ruelles. Voltaire, qui, dans la dernière moitié de sa vie, régna véritablement, fut monarque comme philosophe, comme historien, non moins que comme poète. Delille, à quelques égards son successeur, n’hérita que de la partie légère et brillante de son sceptre ; il y rattacha des rubans retrouvés, rajeunis, du goût de Fontenelle et de Voiture. Ce fut Voiture cultivant des genres sérieux, un Gresset qui avait tout-à-fait réussi. Il devint de son temps un vrai prince des poètes, comme on l’était avant Louis XIV, avec tout ce que l’idée de mode et d’engouement ramène sous ce nom. Le monde le choya, les femmes l’adorèrent ; ce fut, pour tout ce qui le connut, un jouet charmant et une idole.

Jacques Delille, né à Aigue-Perse en Auvergne, d’une naissance clandestine, le 12 juin 1738, fut baptisé à Clermont et reconnu sur les fonts par M. Montanier, avocat, qui mourut peu après, en lui laissant une petite rente. La mère de Delille, à laquelle ce fruit d’un amour caché dut être enlevé en naissant, était une personne de condition, de la descendance du chancelier L’Hôpital. Il ne paraît pas pourtant que l’enfance du poète ait été assiégée de trop pénibles images, et, quand il eut à chanter plus tard ses premiers souvenirs, il n’en trouvait que de rians :

Ô champs de La Limagne, ô fortuné séjour !
................
Voici l’arbre témoin de mes amusemens ;
C’est ici que Zéphir, de sa jalouse haleine,
Effaçait mes palais dessinés sur l’arène ;
C’est là que le caillou, lancé dans le ruisseau,
Glissait, sautait, glissait et sautait de nouveau :
Un rien m’intéressait. Mais avec quelle ivresse
J’embrassais, je baignais de larmes de tendresse
Le vieillard qui jadis guida mes pas tremblans,
La femme dont le lait nourrit mes premiers ans,
Et le sage pasteur qui forma mon enfance !