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JOSEPH SPECKBAKER.

que les mieux combinés, et se tenait en garde contre leurs surprises. Les femmes surtout étaient dans les intérêts des Bavarois. On raconte même que plusieurs d’entre elles s’étant rendues au camp tyrolien pour essayer de séduire les braves soldats de Speckbaker, celui-ci les fit saisir, et, pour tout châtiment, se contenta de les faire raser. Il les renvoya dans la ville au milieu des rires de ses compagnons. L’exemple fut d’un bon effet ; il rendit circonspectes les dames de Kufstein, et comme Speckbaker avait juré de faire couper à leurs maris autre chose que les cheveux, s’il les prenait en flagrant délit de trahison, et que ceux-ci savaient que le Diable de Feu était homme à tenir parole, et le cas échéant, à leur trancher la tête, comme il avait coupé les cheveux de leurs femmes, les intrigues cessèrent, et bientôt la place fut réduite aux dernières extrémités. Elle allait capituler, lorsque les affaires changèrent de face.

L’Autriche venait de succomber à Wagram (17 juillet 1809) ; aux termes de l’armistice de Znaïm, ses troupes devaient évacuer le Tyrol. Le général Buol, qui commandait le peu d’Autrichiens qui avaient secondé les insurgés, donna l’ordre du départ. Il n’est pas possible que l’empereur veuille abandonner ses fidèles Tyroliens ! s’écrient les montagnards ; ils s’ameutent, retiennent les Autrichiens, et veulent égorger les prisonniers bavarois. Hofer, placé à la tête de l’insurrection, parvint seul à rétablir l’ordre. On laissa partir les auxiliaires réguliers, et ceux qui par devoir ou par faiblesse voulaient les suivre.

Speckbaker avait beaucoup d’amis dans les rangs des Autrichiens ; ses talens militaires, son caractère aimable et franc, sa brillante valeur, l’avaient rendu cher aux officiers impériaux, qui lui faisaient les plus belles promesses, s’il voulait les suivre et prendre du service dans l’armée régulière. Il n’est pas de héros qui n’ait eu ses momens de faiblesse, car après tout les héros sont des hommes. On raconte que, séduit par les caresses de ses nouveaux amis et découragé par l’inutile blocus de Kufstein, ce brave chef se décida à suivre les Autrichiens qui s’éloignaient du Tyrol. Il avait fait ses adieux à sa femme et à ses enfans, et, monté dans l’un des petits chars du pays (caretta), il traversait le Brenner dans la compagnie de quelques officiers autrichiens et descendait les pentes du sud, du côté de Sterzing, pour prendre ensuite la route du Pustberthal, quand il rencontra Hofer qui gravissait la montagne, se dirigeant sur Inspruck. Le char descendait rapidement les versans du Brenner ; mais quelque précipités que fussent ses mouvemens, l’œil perçant du chef reconnut aussitôt Speckbaker parmi les fugitifs. Hofer ne jeta pas un cri de surprise, ne prononça pas un mot de reproche ; seulement son œil noir s’arrêta un moment sur le visage de son ancien compagnon. Il y avait dans ce regard tant de tristesse, d’étonnement et de dédain, que Speckbaker ne put long-temps le soutenir, et fut obligé de détourner la tête.

Pas un des compagnons d’Hofer n’avait reconnu Speckbaker. Hofer lui-