Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/250

Cette page a été validée par deux contributeurs.
246
REVUE DES DEUX MONDES.

s’ils ont vaincu, c’est que chacun d’eux combattait pour son Dieu, son empereur et son pays.

— Ils n’ont pas de général ! reprend le blessé, et quel était donc cet intrépide officier qui donnait des ordres et combattait dans la mêlée ? Je l’ai vu, sa tête était couverte d’un casque blanc orné de plumes blanches.

Les paysans étonnés se regardent entre eux, s’interrogent, se récrient. — Quel est donc ce chef mystérieux qu’eux seuls n’ont pu voir ? sans doute un protecteur, un saint, un chérubin visible à leurs seuls ennemis ! — Ces paroles, que le délire de la fièvre a peut-être inspirées à un mourant, courent de bouche en bouche, volent de rang en rang, exaltent l’armée entière. Les Tyroliens sont assurés de la justice et de la sainteté de leur cause, que Dieu a épousée, et à laquelle ses anges prêtent leur appui.

Aussi, dans les jours qui suivirent, Bisson et de Wrède furent-ils contraints de mettre bas les armes. Dès-lors tout le Tyrol, à l’exception du petit fort de Kufstein, fut au pouvoir des insurgés.

Cette guerre, cependant, présenta des phases diverses. Les Tyroliens, malgré leur confiance et leur héroïsme, ne furent pas toujours vainqueurs, et l’Innthal et Inspruck, théâtre de nombreux combats, furent tour à tour occupés par les deux partis. L’inertie des généraux autrichiens, la mollesse de leur concours, et surtout l’indiscipline des levées en masse, furent les causes des désastres qui suivirent les victoires des Tyroliens. Quand le tambour battait, que le canon grondait, et que le feu de la mousqueterie retentissait sur toute la ligne, ces hommes se battaient avec une intrépidité sans égale, et rien n’eût pu les arracher du champ de bataille. Mais si la nuit ou un orage surprenait les combattans, si un prompt succès couronnait leurs efforts, les vainqueurs se dispersaient plus rapidement que les vaincus. Nos héros se répandaient dans tout le pays, remplissant les auberges et les cabarets de chaque village ; ou bien, leur carabine jetée négligemment en bandoulière, ils regagnaient tranquillement leurs montagnes, pour aller embrasser leurs femmes, leur porter les premiers les nouvelles de leur victoire, et se reposer quelques jours. Cette insouciance des vainqueurs fut l’un des caractères particuliers de cette guerre. On s’étonne, à juste titre, quand on voit ces braves Tyroliens au fort de l’invasion et de la lutte, tandis que l’on se bat sur un versant de la montagne, célébrer sur l’autre leurs fêtes patronales comme en temps de paix ; et l’on s’étonne bien davantage encore de les voir, dans les cérémonies qui accompagnent leur mariage ou le baptême de leurs enfans, dépenser, en feux de joie et en folles réjouissances, une poudre qui devait cependant leur être si précieuse, et dont, certes, ils eussent dû se montrer plus avares.

Les Tyroliens occupaient Inspruck depuis près d’un mois, quand les Français, vainqueurs en Allemagne, vinrent se joindre aux Bavarois pour écraser ce que ceux-ci appelaient une poignée de rebelles. De nombreux détachemens traversèrent les frontières de l’ouest et du nord, et remontè-