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DE LA RUSSIE.

de l’empire russe pour le gouvernement français. Ce sentiment disparaîtra en eux, sous la domination qu’exerce l’empereur sur les idées de ceux qui l’entourent, dès que les antipathies impériales auront faibli, et ces antipathies n’augmenteront pas par l’effet de l’antipathie des autres, dans un esprit où l’influence des évènemens parle plus haut que personne.

La conduite de l’empereur dépendra du degré de confiance qu’il aura dans la stabilité du gouvernement français. C’est la préoccupation constante de l’empereur, et ses dispositions à l’égard de la France, l’opinion même qu’il se forme de son gouvernement, varient selon les chances de durée que lui montrent tour à tour les évènemens. La France n’aura donc à s’inquiéter sérieusement de la Russie que dans ses momens critiques. Pour peu que le gouvernement français surmonte ses embarras intérieurs, le gouvernement russe arrivera progressivement à lui, en dépit de l’opposition de principes et de tout ce qui s’oppose à l’union des deux cabinets. Jusque-là la France n’abandonnera pas, sans doute, sa position de surveillance à l’égard de la Russie, la prudence dans ses rapports, et veillera surtout à ce que la Russie n’aide pas ses adversaires par d’indirectes diversions. Le temps viendra où la nature de ces rapports changera d’elle-même, ce temps que prévoyait déjà, il y a près de quarante ans, un homme qui a laissé de belles leçons politiques, M. d’Hauterive ; ce temps qu’il définissait ainsi, est déjà bien rapproché et à demi venu. « Quand la Russie, disait-il, sera bien convaincue que les véritables sources de sa prospérité et de sa puissance sont dans son sein ; quand elle prendra part elle-même à l’exportation de son superflu et à l’importation des objets de ses besoins ; quand elle acquittera envers les états de l’Europe la dette de sa civilisation, et quand après avoir imité l’exemple de leurs arts, elle leur donnera celui de la sagesse, de la modération, de la justice ; quand au lieu d’intimider les états faibles qui l’entourent, elle imitera la France, qui, en pareil cas, les protège et les assiste ; quand elle sentira la nécessité de fonder le droit public en Europe, non sur des débris dispersés, non sur des regrets et des hypothèses, mais sur les faits, sur les circonstances, sur les forces réelles des états tels qu’ils existent ; alors l’empire russe ne verra pas la France avec des yeux d’inimitié, il maintiendra l’équilibre du nord pendant que la France garantira celui du midi, et leur accord assurera l’équilibre politique du monde[1]. »

  1. De l’État de la France à la fin de l’an viii. Paris, 1800.