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DE LA RUSSIE.

de marchands, même ceux qui ne sont pas libres, courent à leur gré les pays étrangers. Or, les idées étrangères, comme on dit en Russie, fructifient bien plus vite dans la tête d’un fils de marchand que dans celle d’un jeune gentilhomme, qui fréquente partout l’aristocratie, et se défend de l’influence libérale par l’influence de ses propres intérêts et de ses idées natives.

En disant quelques mots des classes et de l’organisation sociale de l’empire russe, qui est très peu connue, on pourra se faire une idée du terrain sur lequel opère le gouvernement de l’empereur Nicolas.

Du temps de Pierre Ier, la noblesse se divisait en deux grandes classes, les knaës et les dworanines, les princes et les vassaux. Les princes vivaient dans leurs terres. Pierre Ier les obligea à venir à sa cour, ne leur permit que de rares séjours dans leurs terres, et leur retira le privilége qu’ils avaient d’être exclusivement les conseillers et les grands fonctionnaires de la couronne. Cette aristocratie se composait principalement de trente ou quarante familles, dont les plus remarquables étaient les Narishkin, Galitzin, Kourakin, Scheremetieff, Repnin, Dolgorouki, Romanzoff, Troubetskoï, Wiasemski, Labanoff, Sherebatoff, et les princes d’origine tartare, comme les Jousouppoff, Ouroussoff, Mesicherski, etc.… En détruisant cette aristocratie et ne lui réservant que quelques insignifiantes faveurs de cour, Pierre-le-Grand se mit aussitôt à en créer une autre, où celle-ci même pouvait entrer, aristocratie toute-puissante, mais qui ne saurait être dangereuse ; c’est l’aristocratie de service.

Voici comment elle se forme :

Il fut établi que le service civil ou militaire pouvait conduire à la noblesse, c’est-à-dire à la noblesse qui permet d’entrer dans les emplois. Ainsi, un prince russe n’est noble que de naissance, jusqu’à ce qu’il ait atteint, par le service, au rang et à la classe qui confèrent certains priviléges et la noblesse.

Il faut s’élever au rang de major pour avoir le droit de mettre, en voyage, dans l’intérieur de l’empire, quatre chevaux de poste à sa voiture. Un prince qui n’est que lieutenant ne peut, dans la règle, obtenir aux relais de poste impériale les quatre chevaux que le fils d’un paysan, qu’un soldat, devenu major, a le droit de requérir.

Le 24 janvier 1723, Pierre-le-Grand publia l’ordonnance qui réglait l’ordre des classes. Elles étaient divisées en quatorze rangs, ainsi qu’il suit ;

1o Général feld-maréchal, grand-amiral, chancelier de l’empire, grand-chambellan ;