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amour pour la réalité flamboyante, et il abandonne les lignes chastes et sévères du poète romain pour dessiner confusément les allées mystérieuses et les grottes discrètes qu’il aime à visiter avec une personne chérie. M. Hugo a, selon nous, grand tort de se mesurer avec Virgile, car il est séparé de l’intelligence de l’antiquité par un espace incommensurable. Quoique Virgile ne soit que la lune d’Homère, et, malgré la singularité de l’expression qui appartient à M. Hugo, nous ne pensons pas à le contester, le poète qu’Alighieri a pris pour guide dans son terrible pélerinage, ne se laisse pas pénétrer du premier regard. Pour comprendre, pour aimer Virgile, il faut avoir le goût des pensées fines et délicates, il faut se complaire dans la simplicité, dans la sobriété de l’expression ; or, M. Hugo n’a jamais prouvé qu’il fût passionné pour la simplicité. Il n’est donc pas étonnant qu’il bégaie lorsqu’il essaie de parler la langue de Virgile. Il y a deux ans, dans les Chants du crépuscule, il avait montré combien il était loin de comprendre Anacréon et Pétrarque ; depuis ce temps son goût ne s’est pas épuré, car Virgile et Pétrarque sont de la même famille.

La pièce sur Albert Dürer mérite le même reproche que la pièce sur Virgile. Pour tout homme familiarisé avec les œuvres d’Albert Dürer, il est évident que M. Hugo ne le comprend pas. D’un artiste religieux, sévère, remarquable entre tous, sinon par l’harmonie et la grandeur, du moins par la précision et la naïveté des contours, il fait un rêveur demi-mystique, demi-panthéiste. Aux figures graves qui se pressent sous le crayon du maître allemand il substitue des figures sans nom, qui n’appartiennent à aucun règne de la nature, et qui embarrasseraient fort la sagacité d’un Linnée ou d’un Cuvier. Aussi, malgré l’habileté que M. Hugo a déployée dans la versification de cette pièce étrange, il est impossible de n’y pas voir un perpétuel contresens.

Un jour que la fenêtre était ouverte, tel est le titre que l’auteur a choisi pour l’une des pièces les plus courtes de son nouveau volume. Je lui pardonne de grand cœur ce titre d’une simplicité affectée, en faveur des pensées qui s’y trouvent développées. Pendant que le poète relit pour la centième fois le récit du siége de Troie, une personne aimée vient poser sa tête sur le dos de son fauteuil ; il promène ses yeux du beau livre au visage radieux, et à mesure qu’il contemple d’un regard plus attentif les yeux humides et veloutés de l’enchanteresse, Homère lui paraît plus grand, l’Iliade plus merveilleuse, comme si le bonheur agrandissait l’intelligence. Un des principaux mérites de cette pièce, c’est la brièveté ; aucun détail inutile n’obs-