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tort de croire que M. Hugo gouvernait la langue comme un écuyer son cheval ? M. Hugo dit aux canons des Invalides : — Le fondeur a jeté dans le moule dont vous êtes sortis l’étain, le cuivre et l’oubli du vaincu ; — cette alliance de la matière et de la pensée est monstrueuse, inintelligible, et donne aux reproches du poète un caractère puéril. En parlant de Versailles, il dit qu’à la cour de Louis XIV tout homme avait sa dorure ; si nous avions conservé quelque doute sur le caractère général de ses odes, ce seul mot suffirait à le résoudre. Pour traiter un homme comme un plafond, il faut porter à la réalité visible un amour effréné, et nous craignons fort que cet amour chez M. Hugo ne soit tout-à-fait inguérissable. Arrivant aux malheureuses destinées de la maison de Bourbon, à Louis XV châtié dans Louis XVI, le poète ajoute : Quand il a neigé sous les pères, l’avalanche est pour les enfans. — Je défie le physicien le plus habile de trouver à cette phrase un sens raisonnable, à moins que la neige, soustraite aux lois de la gravitation, ne parte du centre de la terre pour arriver à la surface. À cette condition seulement, l’image présentée par M. Hugo pourrait signifier quelque chose. Encore resterait-il à deviner comment la chute de la neige est à l’avalanche ce que les fautes d’une génération sont aux malheurs de la génération suivante. Plus loin, M. Hugo compare la famille de Bourbon à une étoile sans orbite, et comme s’il craignait que cette figure ne fût pas par elle-même assez effrayante, il ajoute : poussée par tous les vents. La science astronomique nous apprend si peu de choses sur le mouvement des étoiles multiples, nous sommes si loin de posséder sur ce sujet des notions précises, qu’il se passera bien du temps encore avant que l’orbite parcourue par ces corps soit déterminée. Il est probable que M. Hugo a confondu les étoiles avec les planètes. Mais lors même que la science connaîtrait le mouvement des étoiles multiples aussi bien que le mouvement des planètes, il faudrait nier toutes les découvertes de Galilée, de Newton et de Laplace, pour attribuer ce mouvement à l’impulsion du vent. Je conçois bien que le vent agite les feuilles, enfle les voiles d’un navire ; mais je ne conçois pas, je ne crois pas que personne comprenne comment le vent agiterait les corps célestes. La figure employée par M. Hugo pour peindre les malheurs de la maison de Bourbon est donc de tout point une figure absurde. Je ne demande pas à la poésie de lutter de rigueur avec la science ; mais je veux que toute image cache une idée. Que le poète, pour éclairer sa pensée, emprunte le secours de la physique ou de l’astronomie, peu importe ; mais il ne peut se dispenser de respecter la